Deux ans avant Zatoichi, Kazuo Mori permettait à Shintarô Katsu d'interpréter un masseur aveugle (un zatô), rôle dans lequel l'acteur apparaît tellement à l'aise que son casting par la suite pour la série culte des années 1960 ne devait être qu'une évidence. Mais toute ressemblance s'arrête là, n'y voyez pas un quelconque préquel tellement les deux personnages sont aux antipodes l'un de l'autre. Là où Zatoichi fait preuve d'humanisme et de justice, toujours prompt à défendre les faibles, ici nous avons affaire à un aveugle qui dès son plus jeune âge se distingue par une grande intelligence mise au service d'une roublardise sans limite pour concocter de petites escroqueries. En grandissant, son esprit vif lui sert pour élaborer des plans plus maléfiques encore, d'abord tuer froidement un voyageur pour le détrousser de ses 200 pièces d'or, participer à des cambriolages qui virent au meurtre des occupants de la maison, puis fomenter l'assassinat de son maître pour prendre sa place à la tête d'une guilde de masseurs, une position qui lui procure autorité, pouvoir, argent et surtout une belle maîtresse.
Bref un sale type, calculateur et cynique, qui dissimule ses basses œuvres derrière l'apparente innocence que lui confèrent son statut social et son handicap physique. On en vient à ressentir du soulagement quand le sort se retourne enfin contre lui. C'est très amusant quand on s'amuse à comparer ce personnage avec celui de Zatoichi. L'humour, celui-ci n'en manque déjà pas. Katsu est particulièrement convaincant dans son rôle, et sa bonhommie légèrement cabotine lui sied à merveille.
Le traitement esthétique monochrome réserve aussi quelques très beaux plans, comme cette séquence en rêve du masseur jouant du shamisen avec une danseuse tout en contrastes et jeux de lumière.
Ce petit bijou d'humour noir que l'on connaît également sous le titre de The Blind Menace est le film qui lancera véritablement la carrière de l'acteur Shintarô Katsu, ce voyant qui interprétera le plus célèbre aveugle de l'histoire du cinéma. Il serait dommage de ne pas le voir.