Il faut se l'avouer : en général, quand on entend les mots "film de noël", notre cerveau a tendance à entrevoir l'image d'un étron avec une pointe de chantilly par-dessus. Pour moi, c'est un automatisme. Et quand le film est américain, la confiance est encore moins présente : quoi de mieux pour justifier les achats compulsifs des périodes de fête qu'un film qui entretient la "magie de Noël" ? C'est donc sceptique que je me lançais dans le visionnage de ce "Miracle on 34th Street", vaguement intrigué par le fait qu'il soit conservé à la bibliothèque du congrès des Etats-Unis pour "son importance culturelle, historique et esthétique".
Ce qui a tendance à me fasciner dans quelques films américains "engagés", c'est qu'il s'y joue un désaccord profond entre la dénonciation et le corps du film. Je m'explique : Miracle on 34th Street critique de manière frontale la perte de l'esprit de Noël en confrontant un personnage de Santa Claus réaliste et altruiste face à une société consumériste, et cette critique est tellement évidente que je n'ai pas envie de m'étendre là-dessus. Par la suite, le film écorche tout ce qui est "intellectuel et compliqué" (notamment à travers le personnage du psychologue, le méchant) au profit d'une recherche du bonheur dans la simplicité : en gros, oubliez vos soucis et vous serez heureux. Ce qui en revanche est déjà plus intéressant, moins simpliste et nauséabond, c'est que le film dénonce une récupération par le système capitaliste de toute générosité : le commerce n'en reprend que la parure, et s'en sert pour fidéliser sa clientèle. Pourquoi pas, on frôle déjà un peu la mise à nue des méthodes de manipulations commerciales, en réalité bien plus sournoises.
Maintenant, prenons un peu de distance avec tout ça. Le film est sacralisé aux Etats-Unis au point de faire parti du patrimoine, en plus d'avoir reçu des critiques dithyrambiques. Il doit bien y avoir une raison. Est-ce la mise en scène ? De toute évidence non, tant elle ne dérive jamais des codes de l'Hollywood des années 40-50 (montage transparent, surexposition des acteurs etc.), ne prenant aucun risque. Non. Le vrai miracle du titre, c'est que le film arrive à constamment maintenir un parfait équilibre entre ce qu'il dénonce et son corps qui anéantit tout propos. Ceux qui veulent un film de Noël divertissant en ont un, avec tout le pathos et les valeurs bien-pensantes qu'il traîne avec lui. Ceux qui veulent une dénonciation plus poussée de la folie consumériste en ont une : le message est tellement évident qu'il glisse comme une lettre à la poste. Mais la vérité, c'est que le film n'est ni l'un ni l'autre : il a la tête du dénonciateur (dialogues, personnages, situations, narration etc.) mais le corps du système (transparence, valeurs bourgeoises, production Fox etc.).
Bref, il est hybride, et être trop hybride c'est déjà n'être plus rien au cinéma, ou du moins rien de plus qu'une créature inoffensive. C'est peut-être ce qui explique, malheureusement, que certains films dits subversifs sont en fait les meilleurs amis du système qu'ils dénoncent : le rien se vend et fait réfléchir sur du vide. Comme c'est mon cas actuellement.