Totalement vierge du cinéma de Jean-Claude Guiguet je découvre, intrigué, dérouté puis finalement mitigé son adaptation en images et en musiques de la nouvelle de Thomas Mann intitulée Le Mirage...
Objet filmique assurément gratuit, oeuvre d'esthète à la croisée des films des Straub, de ceux de Paul Vecchiali et du Nouveau Cinéma allemand le métrage de Jean-Claude Guiguet - comme tout morceau de cinéma purement désintéressé - semble n'exister que par et pour lui-même, s'affranchissant de toute utilité publique, sociologique et politique. D'emblée les splendeurs du printemps, des nuées de pollen et des lumières extérieures captivent notre rétine, en accord avec le classicisme des cadrages et la beauté du visage intemporel de Louise Marleau.
Peu concédante, au risque parfois de cultiver une certaine artificialité la forme du Mirage proposée par l'ancien assistant de Vecchiali joue en permanence de son caractère délicat voire un rien suffisant. Clairement u-topique ( le terme est donc à prendre en son sens étymologique, autrement dit de lieu inexistant ) le décor resplendissant solidement filmé par Guiguet alterne entre des extérieurs diurnes et des intérieurs méticuleusement aménagés. C'est évidemment beau, superbe même, tendant toutefois vers une redondance sclérosée.
Jean-Claude Guiguet apprivoise donc un coeur féminin, montrant dès les premières minutes une éternelle renaissance amoureuse en la figure de Mme Tümmler ( Louise Marleau, donc ) ; il filme le printemps comme l'éventuel paysage intérieur de son héroïne, cherchant à enrober tantôt lourdement, tantôt avec efficience ses images de célèbres morceaux musicaux du répertoire classique ( Strauss, Mozart, Saint-Saëns...). S'ensuivent des atermoiements et des moments suspendus entre Mme Tümmler et le précepteur de son fils, bel homme érudit en parfaite osmose avec le bon goût aristocratique ambiant du métrage...
En fin de compte Le Mirage est surtout un bel objet typiquement européen, jouant aussi bien du classicisme de ses canons que de son souffle légèrement romantique mais étrangement déconnecté de tout contexte historique, s'évertuant à dépeindre une bourgeoisie pétrie de manières parfois proches du ridicule... Une oeuvre tranchée, sans doute fière de son identité culturelle mais tout à fait vaniteuse dans le même temps.