Le vent est-il invisible ? Qu'est-ce que le vent déjà ? Au-delà de la définition, quels sont selon vous les moyens de détecter la présence du vent ? De quoi est-il constitué ? Quelle est sa substance ? D'où vient-il ce vent en particulier, celui-là que j'entend, qu'il me semble entendre en tout cas, et qui agite ce petit arbuste vulnérable ? Par où le secoue-il ? Se contente-t-il de le frôler au sol, à toute vitesse, pour agiter ses branches depuis les racines, comme on agiterait un petit drapeau ? Où agrippe-t-il les bourgeons aux extrémités, pour remuer le corps entier comme une corde à sauter ?


Il y a différentes manières de le savoir. La plus logique, et la plus simple, c'est de se placer dans le vent, et de le sentir. Parce qu'il est invisible, mais il n'est pas impalpable. C'est lorsqu'il vous englobe complètement que vous en sentez toutes les subtilités. La force, le sens, la température... Mais c'est une méthode fatigante. Quasiment inaccessible au cinéma qui plus est. Parce que l'image et le son ne sont que des représentations partielles, et qu'il faut alors composer avec les limites qui découlent du support, en les transcendant un peu. Créer la sensation du vent à travers un écran, ça demande une sensibilité spécifique. C'est du travail. Tout autant que de trouver des réponses dans son propre reflet.


Quand je parle de réponses et de reflets, et de vent, c'est par pudeur. Pour ne pas parler de « questions existentielles ». Ou de « luttes intérieures ». Je ne veux pas en parler directement ; parce que je ne sais pas comment faire, et que les luttes présentées dans ce film me sont un peu étrangères (quoique), voires dérangeantes... mais c'est bien de ces luttes dont parle ce film. Or, contrairement à moi dans cette critique, ce n'est pas la pudeur et/ou la prudence qui incitent Tarkovski à peser au gramme près ses signifiants et ses signifiés, c'est le talent. (Et) la justesse. C'est la faculté de montrer les choses comme elles sont à l'intérieur des êtres, sans les expliquer trop ostensiblement. Dans ce film, l'évidence - la sincérité, comme espoir fou de libération - est un personnage secondaire. C'est le personnage violent, qui rend certaines scènes aussi magnifiques que longues. Mais l'évidence, dans ce film, n'est qu'une voix malheureuse - et un bouquet d'images. Une voix évidemment en conflit avec la vraie star du film : le déni inconscient. La douleur intérieure et le tiraillement, invisibles aux yeux même de la principale intéressée, aux yeux de celle qui abrite en son corps la tempête. L'outil du réalisateur, pour que nos yeux à nous puisse voir sans dénaturer, et comprendre, c'est le chaos familier. C'est le vent dans les arbres, la guerre, un tremblement de lèvre, des ambitions meurtries, un "simulacre d'indépendance", les plumes voletantes d'un poulet decapité, la remise en cause de l'instinct maternelle ... au service de la cristallisation. Et d'une révélation, peut-être. C'est la fusion définitive des images et des sons pour mettre en forme l'imperceptible et tragique hasard - seul véritable peintre de la complexité, la vraie - et pour lui donner un sens. Pour lui donner une force. Une température. Un cri. De mal-être. Refoulé. In extremis.


Une larme, dos au public. Et/ou dos à l'amour. Et/ou vers l'amour. Qui peut savoir? Peut-on choisir? Dans le chaos ambiant, qui peut bien savoir où va le vent?


EDIT: ajout de citations du Temps scellé, en vrac.


« L'artiste, dès lors, est non seulement explorateur de la vie, mais aussi créateur de valeurs spirituelles et de cette beauté que seule la poésie peut faire naître. De tels artistes sont capables de saisir tout ce qui relève de l'organisation poétique dans le quotidien et ils dépassent les limites de la logique linéaire. Ils transmettent dans leur complexité, et leur vérité, toutes les liaisons subtiles et les phénomènes profonds de de la vie.


En dehors de cette perception, même quand elle prétend à la vraisemblance, la vie sur l'écran reste schématique et conventionnelle. C'est que l'auteur peut donner l'illusion de la vie, sans pour autant en avoir exploré les profondeurs. Mais je pense qu'il est impossible de parvenir à l'authenticité, à la vérité intérieure, ne serait-ce même qu'à une véritable ressemblance extérieure, s'il n'y a pas un rapport organique entre les impressions subjectives de l'auteur et la représentation objective de la réalité. Sinon, une séquence peut être filmée comme un documentaire, les personnages habillés avec un soin naturaliste, la vie même reconstituée artificiellement, le film sera loin encore de la réalité : il paraîtra parfaitement conventionnel, donc sans ressemblance littérale avec la réalité, bien que l'auteur ait essayé justement de sortir d'une représentation trop conventionnelle...


Il peut sans doute paraître étrange d'appeler conventionnelle en art une perception trop immédiate de la réalité. Pourtant, la vie a une organisation bien plus poétique que ne veulent nous le faire croire les partisans d'un naturalisme absolu. Nos émotions, nos pensées ne sont-elles pas toujours comme des allusions inachevées ? Quand, dans certains films, est réussit la ressemblance avec la vie, l'approche documentaire n'est pas respectée. Elle est même remplacée par une vision très orientée. » p30


« La mise en scène du cinéma doit nous bouleverser par sa véracité, sa beauté, sa profondeur, et non simplement véhiculer un sens. Et ici comme ailleurs une explication trop appuyée de l'idée limite l'imagination du spectateur, en créant un point de vues qui en réduit la profondeur.. » p34

Vernon79
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le 13 août 2017

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