Le Miroir est un merveilleux film, si l’on peut parler de « film » pour désigner cette œuvre, il est possible que soit ce que le Cinéma fait de mieux dans l’art et la poésie.
Car oui Le Miroir est bien plus qu’un film, l’œuvre la plus auto biographique du grand Andrei Tarkovski est fascinante, celle-ci possède une beauté plastique et une pureté qu’il m’est impossible de retranscrire avec des mots, mais bon comment rester insensible face à ce type de plans :
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Je vous propose ces images mais très honnêtement tout le film est du même niveau.
Je n’ai pas tout compris au scénario (je suis déjà heureux d’avoir réussi à saisir les grandes lignes) mais je pense que personne ne peut dire avoir parfaitement compris Le Miroir à la suite d’un unique visionnage, c’est une œuvre tellement complexe que le cerveau ne peut pas tout assimiler en si peu de temps. Enfin, est-il si important de tout comprendre, je ne pense pas les images se suffisent à elles-mêmes, ce film est l’exemple le plus concret que j’ai pu voir d’émotions passant à travers les images.
Et puis à côté, il y a cette caméra tellement vivante qui se promène dans les décors, j’ai été impressionné par les jeux de réflexion avec les miroirs et les vitres, dans le monde de Tarkovski chaque recoin cache un nouvel élément. On voit, on aperçoit, la caméra s’avance et se penche, une autre image la remplace, un nouveau tableau se dévoile. Les jeux de perspectives sont vraiment impressionnants.
Si je devais définir Le Miroir avec trois mots je dirais, lyrisme, pureté et poésie.
Le lyrisme émane de chaque plan, les fleurs soulevés par le vent, une grange qui s’enflamme sous la pluie, le doux crépitement d’un feu où se réchauffe la femme aimée…
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La pureté, pureté des personnages mais aussi pureté des émotions et pureté même de la vie. Les personnages du film possèdent tous des défauts mais ne sont pas mauvais, il émane d’eux une forme de calme et de chaleur qui m’a touché.
Enfin, poésie. Le film entier constitue en une allégorie de la vie. On est plongé entre le début et la fin de la vie d’un homme dont les souvenirs s’entremêlent, le récit est désordonné, dénué de logique, la cohérence n’a que peu d’importance, on voyage à travers un esprit. Ce voyage onirique touche profondément le spectateur, car Tarkovski ne se contente pas de faire un film, il montre l’essence de la vie. A la manière de Rimbaud, ces films font abstraction de la logique pour faire éprouver de vives émotions aux spectateurs, on s’intéresse aux émotions et à la manière de les faire se manifester.
Pour continuer dans l’aspect poétique, on trouve bien entendu, les magnifiques poèmes de Arseni Tarkovski le père de Andrei Tarkovski, leur présence renforce le caractère autobiographique du film :
« Chaque seconde où nous étions unis,
Nous la fêtions comme une épiphanie,
Seuls sur la terre entière, Toi, d'un saut
Vif et léger, telle une aile d'oiseau,
Dans l'escalier, un vertige de toi-même,
Tu te précipitais, m'offrant à voir,
Par le lilas humide, tes domaines,
L'au-delà de la glace du miroir... »
Ces textes viennent renforcer le lyrisme de l’œuvre. Pour apprécier Le Miroir, il faut parvenir à rentrer dedans, il ne s’agit pas d’essayer de tout comprendre mais de se laisser bercer, s’imprégner de la beauté de l’œuvre, de son message, de ses images.
La musique n’est pas en reste dans Le Miroir, on retrouve deux compositeurs. Le premier aura composé la musique originale du film Eduard Artemev il nous offre de magnifiques thèmes, le second est le grand Jean-Sébastien Bach qui apporte une énorme force émotionnelle aux images. La musique de Bach est une des plus puissantes qui existent elle est moins douce et romantique que celle de chopin et moins droite et régulé que celle de Mozart ou Beethoven mais c’est une force baroque. Là où les images sont d’une infinie douceur, la musique crée un contraste et bouleverse le spectateur.
L’esthétique du film est envoûtante, on passe rapidement entre les différents styles, couleur, sépia, noir et blanc, ce travail sur l’image participe à la naissance des émotions car il permet le contraste, ces styles se déclinent, les couleurs sont parfois saturées, le noir et blanc est parfois chaud, parfois froid.
A côté de ça Tarkovski a placé dans son œuvre de nombreuses images d’archives. Cela lui permet de confronter l’individu à l’histoire c’est une idée qui est chère au cinéaste.
Une des utilisations les plus marquantes est lors de la montée du garçon venant de faire une bêtise (lancer une fausse grenade) sur la colline. Alors que son regard s’oriente vers la caméra on passe sur l’image de la mort d’Hitler, puis le champignon atomique, on revient sur l’enfant avec l’oiseau qui vient se poser sur sa tête, c’est très fort dans la symbolique. On peut y voir plusieurs choses dont des symboles religieux, une idée que je rejoins.
Cet oiseau réapparait à la fin du film dans un très beau plan où il s’envole de la paume du personnage alors que celui-ci se meurt, tout simplement une métaphore de l’âme qui s’évapore en quittant son enveloppe charnelle.
Dans le film un acteur joue parfois plusieurs personnages, c’est le cas de Margarita Terekhova qui joue et la mère et l’ex-femme du personnage principal. Le jeune Ignat Daniltsev joue le personnage de Ignat et Aliocha à 12 ans. Ce n’est évidemment pas pour des soucis économiques que Tarkovski à fait ce choix mais bien pour exprimer les souvenirs du héros qui s’embrouille. Il y a une sorte de mise en abyme quand Aliocha se remémore un souvenir avec son ex-femme où il lui dit qu’il rêve de sa mère en la voyant avec son visage, mais qu’en réalité leurs deux visages n’ont pas grand-chose à voir. Les souvenirs peuvent être altérés par le temps et par nos expériences, nos rencontres.
« Quand l’éternité vogue vers nous en masse.
Habitez la maison pour qu’elle ne s’effondre.
Je convierai n’importe quel siècle,
Et j’y bâtirai ma demeure.
Voilà pourquoi vos enfants et vos femmes,
sont assis à ma table à cette heure .
Et l’aïeul et le petit fils
Sont face à face. »
A travers les mots de son père, Tarkovski transmet une théorie qui lui est chère, celle que chaque siècle se ressemble, les événements sont amenés à se reproduire de façons différentes, quelque chose que l’on pourrait qualifier de parallélisme à travers les siècles.
Si le film s’appelle Le Miroir c’est en partie pour ses effets d’échos entre les personnages. Par exemple on retrouve cette scène où Ignat lit un livre que son père avait lu au même âge. Andrei Tarkovski développe les liens entre la famille et encore une fois cette idée des événements qui se répètent.
Il y a cette très belle citation de Tarkovski à propos du miroir.
Les destins de deux générations se superposent par la rencontre de la réalité et des souvenirs : celui de mon père dont on entend les poèmes dans le film et le mien.
Le miroir est un film qui m’a troublé par sa pureté et son lyrisme mais aussi par son écriture et son esthétique qui sont encore inédites pour moi, c’est mon premier film du réalisateur, je suis désormais très curieux de découvrir ses autres œuvres. Le Miroir est impressionnant dans les contrastes qu’il crée, on passe par tant de types d’images différentes, je n’avais jamais vu ça dans un film, Tarkovski en grand réalisateur fait en sorte que cela ne paraisse jamais brouillon, tout trouve un sens. C’est un film qui fait réfléchir, d’abord car il est difficile de ne pas se perdre dans son scénario mais surtout car celui-ci possède de nombreux sens cachés qu’il me reste à découvrir des images et autres métaphores brillamment réparties dans l’œuvre, les éléments se font échos et se répondent entre-eux, on voit sans voir, les illusions, les reflets, les miroirs faussent la réalité, si on ne fait qu’entrevoir les choses on les ressent pleinement. Andrei Tarkovski sait comment faire parler ses images et alors ce qui ne voulait pas dire grand-chose devient tout d’un coup parfaitement logique. Le cinéaste s’identifie au personnage d’Aliocha, lors d’un appel à sa mère ce dernier lui dira : « Les mots sont incapables de dire, tout ce que l'homme ressent. Ils sont amorphes. », cela résume l’idée même du film, pour Tarkovski la poésie naît de l’habile mélange de l’image et des mots.
Vers la fin du film on trouve ce sublime plan, où l’on voit la mère encore jeune regarder vers le champ, elle voit ses deux enfants encore petits et au milieu elle se voit âgée, toute sa vie se résume dans ce champ et dans un plan, Tarkovski utilise le langage cinématographique pour faire passer ses idées poétiques et c’est là la force du réalisateur, faire d’une image une métaphore et d’un film un poème.