J’ai pensé à Gerry. Je ne sais pas si Van Sant a vu Le moindre geste mais il y a dans l’errance de ses deux personnages un dialogue étrange avec ce garçon (dont on dit qu’il est incurable) qui traverse le film de Deligny, se perd, tombe dans un trou, grimpe des collines, s’enfoncent dans des carrières, s’extraie des roseaux, boit dans la rivière, trace ses propres lignes d’exilé dans le paysage cévenol. Peu de désert et de longues étendues, mais une succession de plaines, de ruines et de machines. Les deux Gerry sont aussi des fous dans un monde désertique auquel ils n’appartiennent pas. La grande différence c’est l’usage de la matière cinématographique, naturaliste (un naturalisme merveilleux, fantastique) chez Van Sant et une expérimentation par superposition de couches dans Le moindre geste.
C’est le résultat d’un film à la production chaotique, qui s’invente au jour le jour, où l’on sent l’écrivain pédagogue d’un côté, celle qui s’occupe de l’image et celui qui fait les prises de sons de l’autre. Dix heures d’images et huit de sons dit-on. Et un matériau qui tombe dans l’oubli pendant près de dix ans avant d’être récupéré muet et monté par un larron (Daniel) qui ne connait ni Deligny ni Manenti. C’est assez fort d’avoir accès à un film qui aurait été monté complètement autrement s’il l’avait été par les membres de l’équipe du tournage, par ceux qui ont vécu l’aventure, savent ce que chaque plan raconte, le pourcentage de jeu et d’improvisation qui y réside. Daniel a inventé un film à partir d’images muettes, tandis que Deligny et Manenti voulaient seulement faire autre chose, utiliser le cinéma pour partager une expérience avec Yves, lui offrir un nouvel espace qui lui offrirait une infinité de gestes possibles.
Le film plonge dans la tête d’Yves, d’abord discrètement puis entièrement, et la matière sonore qui accompagne son errance (Qui m’a fait songer à la superbe séquence des ruines dans Permanent Vacation, de Jarmusch, avec ce personnage qui se croit sous les bombes) devient complètement folle – Ce fameux torrent de mots qu’il reçoit en lui en permanence, qui le rendent imbécile – qui plus est lorsqu’elle est relayée par une parole discursive, parfois violente et délirante. Le moindre geste révèle aussi un contraste saisissant entre les premiers instants dans lesquels le garçon parait accablé par la dimension psychiatrique et collective de l’établissement qu’il s’apprête à fuir, et la liberté qu’il trouve dans la nature.
Après, si le film est unique en son genre, il est aussi très rêche, titubant, moins émouvant que déconcertant en fin de compte car trop écrasé par son afflux images/sons désynchronisés. Genet avait merveilleusement trouvé cette grâce qui manque ici, dans Un chant d’amour, qui lui ressemble à bien des égards. Reste un objet fou, extirpé du néant par un homme qui fit ressurgir le travail d’un autre qui voulait raconter l’humanité de ce garçon. Approcher une vérité à la manière de Rouch dans La pyramide humaine, par le jeu. La pureté du jeu.