Au grand étonnement de ses concitoyens, le roi du Bhoutan vient d’annoncer (2006) qu’il allait se retirer du pouvoir pour permettre à son pays d’accéder à la démocratie. Le peuple doit donc se préparer à de prochaines élections. Un système tellement méconnu des citoyens que le gouvernement envoie des délégués sillonner le pays pour apprendre aux uns et aux autres à voter. Le ton est donné, car il apparait que l’immense majorité des habitants ne voit pas l’intérêt de ces élections, puisque semble-t-il, tout va bien pour eux avec un système qu’ils connaissent et qui leur convient. En incitant les uns et les autres à afficher et défendre des convictions, on risque de faire émerger des divergences. S’il fallait résumer, cela reviendrait à trouver des raisons de s’opposer, ce qui semble contraire aux habitudes paisibles des bhoutanais.


Informé alors qu’il est en pleine retraite méditative, le lama du village d’Ura (région rurale reculée) sent monter ces antagonismes potentiellement dangereux. En réaction il demande à son assistant de lui trouver… des fusils ! Le plus rapidement possible. Au moins un.

Au même moment, un Américain considéré par les autorités internationales comme un trafiquant d’armes, est sur place à la recherche d’un fusil de collection : une arme datant de la guerre de Sécession. On se demande comment une telle arme a pu atterrir là. Autre point peu crédible, c’est justement le seul fusil que l’assistant du lama débusque : il trainait au rebut quelque part chez un homme qui, en bon bouddhiste, accepte d’en faire don au lama.

Avec Le moine et le fusil, Pawo Choyning Dorji filme son pays et ses habitants avec tout autant de bonheur que pour L’école du bout du monde (2019) qui l’avait révélé en France, à sa sortie en 2022. Sans esbroufe, il met en valeur de magnifiques paysages et fait sentir les conditions de vie ainsi que la mentalité des gens du Bhoutan qui vivent simplement. Alors qu’ils découvrent la télévision et Internet, on comprend qu’au gouvernement, on puisse considérer ces hommes, ces femmes et ces enfants comme des cibles potentielles peu méfiantes vis-à-vis de tous les produits de la société capitaliste moderne. Ainsi, ils semblent découvrir cette boisson brune au goût inimitable qui se déguste dans des bouteilles en verre à la forme caractéristique. A la télévision ils observent, fascinés, James Bond 007 incarné par Daniel Craig dans Quantum of Solace (pourtant sorti en… 2008).


Et quand on leur propose une élection à blanc pour se mettre en condition, ils votent pour le parti jaune, tout simplement parce que c’est la couleur… du roi.


On peut se demander pourquoi ce roi leur force la main pour passer à la démocratie. Sans doute parce que lui connait un peu mieux le monde qu’eux, ce village global où le Bhoutan serait à la traine s’il se contentait de vivre de manière traditionnelle. Effectivement, c’est très difficile de ne pas se faire « manger » dans le monde d’aujourd’hui, si on ne « joue pas le jeu ».


Ce que nous montre le film, c’est que la mise en place de la démocratie s’accompagne de ses effets pervers. Les élections sont présentées comme un moyen d’accéder au bonheur. Mais quel bonheur supplémentaire par rapport à celui existant déjà ? Clairement orienté, le discours officiel avance cette possibilité d’un bonheur individuel et non le choix d’un parti qui présenterait les meilleures garanties pour un avenir collectif satisfaisant. On incite donc les individus à s’opposer entre eux. Et puis, bien entendu, puisqu’on met en avant les intérêts personnels, on voit apparaitre les discours démagogiques voire irresponsables. On en arrive au point de se demander en quoi la démocratie représenterait un progrès au pays du Bonheur National Brut, plus préoccupé de religion que de politique. A chacun.e de se faire son idée.


Malicieusement, le réalisateur situe son final aux alentours d’un stupa où le lama a donné rendez-vous aux habitants pour un rituel. Celui-ci apporte un joli lot de surprises qui font passer Le moine et le fusil du stade du sympathique film exotique au rang d’œuvre à méditer. On comprend ainsi que si le trafiquant d’armes est Américain, ce n’est pas un hasard. En effet, il vient d’un pays où la possession d’armes par les individus est inscrit comme un droit dans la constitution (deuxième amendement). Quelque chose qui doit apparaître comme incompréhensible aux habitants du Bhoutan (voir la façon dont le moine tient le fusil pour l’apporter au lama), mais qu’ils risquent d’observer effarés, dans les films venus de là-bas et qu’ils visionneront sur leurs télés. La perte d’une certaine innocence apparaît donc comme inéluctable. On imagine donc que le roi préfère le passage à la démocratie sans attendre, plutôt que de la leur céder à contrecœur une fois influencés par tout ce qu’ils auront pu observer grâce aux médias à leur disposition. Sagesse bouddhique probablement.


Avec des moyens techniques encore assez limités et seulement deux acteurs professionnels (mais une équipe bien investie) Le moine et le fusil s’avère une fable séduisante par ses personnages hauts en couleurs et un beau suspense.

Electron
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le 2 juil. 2024

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