Le monde après nous a les qualités et les défauts des premiers films. Commençons par sa prinicpale qualité : ce premier long métrage de Louda Ben Salah-Cazanas a énormément de charme. Sans être révolutionnaire, Le Monde après nous, revisite avec beaucoup de malice ce genre cinématographique caractéristique de la production indépendante française : le film de galérien social et sentimental. Entendez par cela, la comédie dramatique mettant en scène un post-adolescent éduqué et urbain, en quête de l'amour et qui voit son idéal de vie s'abîmer sur le récif de la réalité sociale en contexte parisien.


Dans ce registre, le personnage principal, Labidi (Aurélien Gabrielli), apporte une réelle originalité et un petit supplément d'âme. Car il n'est pas simplement un galérien, c'est également un transfuge de classe : derrière son rêve de devenir écrivain, Labidi est avant tout un aspirant bobo, un parvenu du capital culturel conscient de son origine de classe, un néo-parisien qui tente désespérément de vivre comme un riche avec des moyens de pauvre au sein de cette Babylone moderne. La réflexion sociale de Labidi, est exposée avec beaucoup de justesse et échappe merveilleusement à l'écueil, trop fréquent dans le cinéma français, consistant à réduire un individu à ses origines culturelles, ou migratoires... Certes Labidi est d'origine tunisienne, mais cette origine n'est nullement une assignation identitaire. Labidi est avant tout un jeune populo français partant à l'abordage de la capitale ... et de ses rêves de promotion sociale. Un Rastignac à la sauce digital native.


Autre immense qualité de ce film, les seconds rôles sont particulièrement soignés. En particulier le personnage d'Elisa (Louise Chevillotte). L'alter-égo féminin de Labidi, est incarné avec beaucoup de justesse et accompagne, autant qu'elle les subit, les désirs de grandeur de son amoureux. Elle aussi vit cette période critique de l'existence : cette fenêtre de vie où tous les rêves sont permis mais où planent déjà les nuages lointains des désillusions. Mais ce sont surtout les autres personnages secondaires qui illuminent le film : il en va tout particulièrement d'Alekseï, le colocataire galérien de Labidi, et des parents de Labidi ; tous sont formidables de justesse et d'interprétation. Loin d'être des faire-valoir, ils apportent une touche de fraicheur, de tendresse et d'humanité réellement touchante. Ils apportent une vraie profondeur au récit et permettent de magnifier certaines scènes, dont quelques-unes sont vraiment jubilatoires.


Il est vrai toutefois que le premier opus de Salah-Cazenas a quelques défauts. Notamment un qui gâche un peu le plaisir : l'arc narratif est un peu sacrifié. La faute à narration qui multiple les ellipses. De facto, on a un peu le sentiment de regarder une succession de scènes dont la résolution est systématiquement reportée sur l'imagination du spectateur. Cela permet certes de faire des économies de mise en scène mais cela empêche surtout au récit de prendre sa pleine dimension narrative. Dans cette économie de moyens scénaristique, le réalisateur recourt quelque peu au deus ex machina pour résoudre les difficultés de son protagoniste... Du coup, la galère sociale de Labidi et tout ce qu'elle impose de stratégies personnelles de survie (devenir livreur Deliveroo, falsifier des bulletins de salaire pour obtenir un logement à Paris etc...) n'est pas vraiment une promenade de santé mais Labidi parvient toujours à retomber prodigieusement sur ses pattes... Galérien certes, mais pas trop quand même...


Et pour couronner le tout, la happy end


nuptiale


du film nous laissera un petit goût d'inachevé voire une petite amertume dans la bouche ... En effet, Labidi est l'incarnation de cette génération Z qui finit par venir à bout des obstacles par la seule grâce du talent individuel, dans un monde où la débrouillardise (légale ou illégale) constitue l'arme principale pour s'en sortir. Certes, mais dans dans quel but ? Pour transformer le monde ? le rendre meilleur et plus humain ? Ou simplement pour jouir de l'existence et mieux se ranger dans le confort du mode de vie bourgeois ? La question reste sans réponse.

Samfarg
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le 26 avr. 2022

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