La sortie d'un nouveau Pixar est toujours un événement. Avec des films unanimement plébiscités tel que Toy Story, Monstres & Cie ou encore Wall-E, le studio a acquis au fil des années une réputation d'excellence en matière de film d'animation, et lorsque l'on va voir un Pixar on est généralement assuré de se trouver devant un bon film, si ce n'est un chef d'oeuvre. Pourtant depuis quelques années, le studio semble en perte d'idée. Les suites se succèdent (Toy Story 3, Cars 2, Monstres Academy et bientôt Les Indestructibles 2) et les films originaux ont perdu ce petit truc qui faisait de Pixar un studio à part (comme par exemple Rebelle ou Le Voyage d'Arlo). Seul l'excellent Vice-Versa fait exception, laissant penser que peut-être Pixar a enfin retrouvé l'inspiration et va recommencer à produire des films aussi bons qu'à la bonne époque des années 2000. C'était sans compter sur Le Monde de Dory, dernier poisson peut-être pas si frais que ça sorti du studio à la lampe.
Alors forcément, quand on parle de suite, on est amener à faire la comparaison avec le film original. Et Le Monde de Dory a la lourde tâche de succéder à Le Monde de Nemo, un des Pixar les plus originaux et les plus inspirés qui nous plongeait dans une aventure (et le terme convient parfaitement) très bien rythmée et d'une inventivité étonnante. Et déjà à ce niveau-là Le Monde de Dory remplit mal son contrat. Les trois quarts du film se déroulent dans un centre de biologie marine où les poissons malades sont placés dans des aquariums afin d'être soignés puis remis en liberté. Une idée qui aurait pu être intéressante si elle n'avait été que l'objet d'une seule scène, mais au lieu de ça on suit notre héroïne parcourir différents bassins quasiment tous similaires les uns aux autres pour pouvoir retrouver ses parents. On est bien loin de la diversité du premier film où l'on passait d'une épave de bateau squattée par des requins à un troupeau de méduses puis à l'aquarium d'un dentiste humain, l'aspect aventure en prend donc un grand coup. Il y a aussi un gros problème sur les obstacles rencontrés par les personnages. Dory doit trouver un moyen d'aller d'un bassin à l'autre, mais la plupart n'est accessible que par voie terrestre. Alors qu'ils auraient pu y voir là un moyen parfait de faire preuve de toute la créativité qu'on leur connaît, les scénaristes ont préféré donner à Dory un nouveau compagnon en la personne du poulpe Hank, personnage qui n'a quasiment droit à aucun développement et qui sert finalement uniquement de bras et de jambes à l'héroïne, l'amenant à peu près où elle veut. Seuls Marin et Nemo, partis à la recherche de Dory, devront se débrouiller par eux-même, mais le film n'étant pas centré sur eux les scènes les montrant devant se tirer d'affaire à la seule force de leurs nageoires sont rares. Au final, le seul véritable obstacle de l'héroïne n'est autre que sa tendance à perdre constamment la mémoire et donc à toujours devoir se souvenir d'où elle est et d'où elle va. Mais là encore cette idée qui aurait pu être bonne s'avère moyennement convaincante dans le sens où ses défauts de mémoire semblent opportuns. Tout paraît forcé, on a constamment l'impression que Dory retrouve la mémoire lorsque les scénaristes n'ont plus d'idée pour la sortir de la situation dans laquelle elle s'est mise. On sait qu'il peut être très casse-gueule pour un film d'avoir un personnage principal souffrant d'une maladie mentale, et les scénaristes du Monde de Dory l'apprennent à leurs dépens.
Mais le film souffre encore d'un autre défaut, qui peut paraître mineur mais qui à mes yeux a une grande importance, surtout dans un film pour enfant. Le Monde de Nemo, outre son rythme et son parti pris "aventure" très bien fichu, réussissait à mettre en scène des personnages avec des problèmes physiques, mentaux ou sociaux. On pense évidemment à Nemo et sa nageoire atrophiée, à Dory et sa mémoire défaillante, mais aussi à Gill, le poisson à la nageoire déchirée. On pourrait même ajouter Marin et son caractère ultra sécuritaire qui lui empoisonne la vie et celle de son fils, mais aussi les requins qui ne veulent plus être vu comme des prédateurs malgré leur physique (parallèle intéressant qu'on pourrait lier au racisme). Le génie des scénaristes ici a été de rendre ces personnages suffisamment profonds pour faire oublier ces déficiences et les montrer comme des poissons (et donc des personnes) normaux, offrant un beau message contre la stigmatisation et le jugement des autres. Le Monde de Dory continue dans cette voie avec évidemment Dory, qui arrive à ses fins malgré sa maladie mentale, mais aussi avec les personnages de Destinée (un requin-baleine myope) et Bailey (un béluga qui ne croit pas en sa capacité à émettre des ultrasons), qui deviennent des alliés précieux pour les protagonistes. Mais ce message de tolérance est contrebalancé par le personnage de Gérard, un lion de mer mentalement défaillant qui se voit tout au long du film moqué et stigmatisé par ses congénères sans que personne ne trouve rien à y redire. Pire, cela devient même un ressort comique qui revient régulièrement, à tel point qu'on se demande quel message ont voulu faire passer les scénaristes du film. On pourrait aussi parler de Becky, un oiseau elle aussi souffrant de problèmes mentaux qui, si elle aide les personnages, ne semble jamais le faire par sa propre volonté mais parce qu'elle est manipulée et instrumentalisée. Un aspect extrêmement décevant donc, surtout dans la suite d'un film qui abordait ces thèmes de façon irréprochable.
Le Monde de Dory est donc une double déception, déjà pour son aventure convenue et sans saveur, mais aussi pour son message plus que bancal sur la stigmatisation et le rejet de l'autre. On espère que Pixar se reprendra, car force est de reconnaître qu'ici le studio touche le fond du bassin (oui j'avais envie de finir par un petit calembour dans cette critique un peu trop sérieuse).