Il y a probablement deux façons de considérer ce documentaire, datant de 1955. Soit les images peuvent choquer, car objectivement, elles sont souvent marquantes pour des spectateurs du XXIe siècle. Soit on considère ça comme un document sur la faune sous-marine et sa manière de l'étudier en 1955, loin des problèmes actuels de couche d'ozone ou de pollution.
Louis Malle, choisi par Jacques-Yves Cousteau pour tenir la caméra grâce à ses capacités de plongeur, montre la vie de l'équipage du Calypso, parti étudier la faune sous-marine, avec des moyens qui semblent rudimentaires aujourd'hui. Pas de combinaison de plongée (tous en maillot), des appareils qui paraissent vétustes, on se débrouille souvent avec les moyens du bord ; et le résultat est vraiment fascinant, même si on doit admettre qu'il y a une part de fiction quand l'équipage se parle entre eux, ça fait affreusement mal joué.
Le monde du silence est un des touts premiers films où l'on voit filmé l'océan, et il faut avouer que c'est souvent magnifique, avec un bleu royal qui frappe aux rétines. On voit l'équipage récupérer du plancton, des espèces rares, et faire péter un banc de poissons à la dynamite (ce qui est interdit aujourd’hui) pour faire une sorte de récolte morbide.
Pour un spectateur de 2015, certaines images sont d'une grande violence, comme un bébé cachalot qui se fait prendre dans les hélices du Calypso, puis en ressort sanguinolent avant de se faire manger par des requins, le tout sous nos yeux ! Plus que de la cruauté, je vois souvent dans ces images, objectivement choquantes, une certaine naïveté de la part de l'équipage, entièrement masculine, qui sent participer à une grande aventure collective (comme un type qui s’asseoir sur une tortue). On tournerait les mêmes images dans les années 2010, ce serait le scandale absolu, mais à l'époque, on ne parlait pas autant de la protection des animaux.
Personnellement, ce qui m'a le plus choqué est un passage où un marin, victime de l'ivresse des profondeurs, est sommé par le commandant Cousteau de rester dans une cabine de dépressurisation afin qu'il revienne à lui. Il rentre donc dans une sorte de cercueil blanc, avec juste un petit hublot pour voir le ciel et reste enfermé durant trois heures ... alors que tous ses compères vont casser la croûte sans lui, voire autour de cette boite !
A un moment donné, les marins vont croiser sur une île une personne de couleur noire (qui a été doublée de manière à ce qu'il parle de manière caricaturale) qui raconte une belle histoire sur une tortue qui pleure, et puis on va rencontrer le seul mérou doué d'une conscience ; Jojo ! Un des marins va croiser dans l'eau cet étonnant poisson qui, si il est intéressé par le sac de viande accroché au type, va presque incarner de concert un sublime ballet pour disparaitre quelques temps après dans l'oubli. Et on le voit suivre les plongeurs qui sont dans l'eau, comme un petit chien, ce qui est émouvant.
Le seul élément qui pourrait gêner est l'aspect un peu fictionnel, comme si Jacques-Yves Cousteau voulait raconter une histoire, une aventure sur ces plongées en profondeur, mais j'ai été séduit par les images du Monde du silence.