Tout festival de Cannes a besoin d’une petite bouffée d’air frais, de ce film qui pulse, et qui égratigne les rétines avec son côté pop débridé. Ça tombe bien, la Quinzaine des Réalisateurs 2018 vient de nous l’offrir sur un plateau. Et c’est Le Monde est à toi de Romain Gavras. Le cinéaste signe la meilleure comédie de l’année.
Le Monde est à toi est une prise de risque intéressante car inattendue. Pourtant, tout le sel qui fait le cinéma de Romain Gavras est là : on reconnait son iconisation publicitaire avec ces grosses bagnoles et ces maisons de luxe dégoulinante, son héros aux antipodes des carcans habituels (génial Karim Leklou), sa mise en scène provenant du monde des clips avec son imagerie chromatique et théâtralisée des banlieues, sa palette de couleurs chatoyante et sa bande son électro (Jamie XX). Cependant, les craintes étaient de mise avant que l’on connaisse le résultat de Le Monde est à toi.
C’est-à-dire que ce second film est complètement différent de la grosse déception qu’était Notre Jour viendra. Ce dernier avait un ton solennel, une ironie d’enfant gâté et un anarchisme un peu de pacotille : au final, on avait bien morflé. Pourtant, le talent était là, devant nos yeux interloqués, visible dès le premier coup d’œil : son côté insurrectionnel s’ajoutait à cette envie communicative de déjouer les codes du cinéma français. Ça fait du bien au moral de voir que Le Monde est à toi révèle enfin au grand jour les qualités indéniables de Romain Gavras, qu’on attendait à ce niveau-là depuis longtemps, et sur lequel il faudra compter dans les prochaines années du cinéma français.
Aussi drôle que percutant, Le Monde est à toi est un film qui s’offre facilement à son public : immédiat et comique grâce à une écriture moderne faite de punchlines incorrigibles (le dialogue entre François et la gamine anglaise pour savoir qui a eu la pire enfance possible), et surtout par le biais d’un casting 4 étoiles. Un Vincent Cassel jouant les attardés écoutant les médias complotistes, une Isabelle Adjani hilarante dans son rôle de tatie Ginette psychédélique et un Philippe Katerine, avocat pernicieux et dérangé. Le Monde est à toi, c’est un peu comme si True Romance de Tony Scott rencontrait Les Lascars : de l’aventure, du luxe, des armes, de l’amour, de la drogue, de l’accent racaille, de l’argent mais tout ça mixé pour en faire une comédie irrésistible.
Romain Gavras apporte une bouffée d’air frais au cinéma de genre français, et surtout montre comment écrire une comédie, qui ne jalonne jamais son rythme autour de situations désordonnées, se sert des clichés pour fédérer et non diviser, et casse cette idée que la comédie française est un genre fainéant se basant uniquement sur ses grands noms pour faire rire. Alors que Notre Jour Viendra parlait de racisme et d’isolement social d’une manière un peu trop frontale et juvénile pour que cela soit réellement pertinent, Le Monde est à toi à cette immense qualité de pouvoir appréhender l’actualité sociale et sociétale (la banlieue et ce qui l’entoure) avec recul, et dérision. Au lieu de jouer les accusateurs et les révolutionnaires, Le Monde est à toi s’amuse des codes avec son esprit pop à la Spring Breakers d’Harmony Korine.
La comédie française peut avoir du fond (l’envie d’être soi-même ou l’instrumentalisation des médias numériques), de la forme (une mise en scène clipesque onirique et jamais grossière), des personnages charismatiques avec des grands acteurs au service de l’histoire (et non l’inverse), et du rythme (le mélange des genres entre film de braquage et comédie). Avec cette escapade, Romain Gavras signe un retour en grande pompe et enchante toute la croisette. Et c’est bien mérité.
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