Un film qui commence sur une chanson de Michel Sardou va avoir du travail pour gagner mon adhésion. A moins que cela ne soit de la dérision, mais ça n'en devient pas moins impardonnable. "Le Monde est à toi" nous a été vendu comme la comédie française de l'été - non pas qu'il y ait grande concurrence dans le genre ! - et les festivaliers cannois ont semble-t-il apprécié le break que le film de Romain Gavras leur a offert au milieu du marathon du Festival : on les comprend. Il est plus difficile d'admettre la générosité envers le film de la critique en général, à moins d'imaginer que les arguments de l'efficacité narrative et du clinquant d'une mise en scène recyclant habilement les trucs inventés outre-Atlantique et outre-Manche prévalent désormais quand on veut apprécier un film français...
Car "le Monde est à toi", derrière les clins d'œil aux cinéphiles comme aux banlieues (le mythe "Scarface", les hooliganeries du Guy Ritchie des débuts), n'a finalement que l'ambition bien dérisoire de transformer la bêtise et la laideur absolue de notre société en cartoon pop et en délire "trop classe". On caresse dans le sens du poil le conformisme bien-pensant sur la diversité et le soi-disant dynamisme d'une jeunesse qui n'a bien pour horizon que la médiocrité et la criminalité la plus brutale, mais dans le fond, on fait ricaner le spectateur sur le dos de tout ce joli monde, qu'on ne manque aucune occasion de ridiculiser. L'utilisation des références à l'intégrisme et au terrorisme islamiste est particulièrement de mauvais goût, voire irresponsable dans la scène du parc aquatique de Benidorm, par exemple : j'ai du mal à comprendre qui rira de ce genre de chose, mais je suppose que nous n'avons pas tous le même humour (et c'est tant mieux...). L'abîme qui sépare ce cinéma joliment "dégueulasse" (comme on disait à l'époque à la fin de "A Bout de Souffle") est parfaitement illustré par le rôle d'Oulaya Amamra, si merveilleuse dans "Divines", réduite ici à un physique qu'on exhibe éhontément : d'égérie de la banlieue en flammes à petite prostituée volontaire, la chute est raide, et on ne remerciera pas Romain Gavras pour ça.
"Le monde est à toi" regorge en outre d'exemples d'utilisation sans vergogne ou de sujets "d'actualité" ou de comportements odieux, dans le seul but de faire ricaner le spectateur complice, en évitant bien d'apporter le moindre point de vue politique ou moral (pas assez "branché", ça, la conscience politique ou la morale) : ainsi on peut exploiter la main d'oeuvre à bas prix que constituent les migrants, ou bien rouer de coups de pieds dans le ventre un Anglais qui passait par là (justification : "j'aime pas les Anglais !"), il n'y a aucune conséquence pour le personnage responsable de ces exactions, le spectateur étant même prié d'en rire avec lui. Quant aux migrants ou aux Anglais en questions, il n'ont droit d'existence à l'image que pour exacerber les clichés les concernants : le migrant se repose à l'ombre au lieu de travailler, l'Anglais est un skinhead rougeaud... Difficile de ne pas être abasourdi par une telle "légèreté" dans l'exercice de l'écriture du scénario et celui de la mise en scène. Encore plus difficile pour moi de comprendre le soutien massif de la critique à un tel film !
Bien sûr, il est impossible de ne pas apprécier le retour de l'actrice Adjani, toujours passionnante quand elle laisse déborder cette étrange folie qui fit d'elle une actrice à part à ses débuts, le superbe numéro de Cassel qui offre au film ses meilleurs moments en le nourrissant de ses théories du complot, et les apparitions amusantes de Katerine et de François Damiens. Les fans réagiront peut-être en passant aux caméos de John Landis dégustant des pâtisseries ou de Miles Kane chantant dans une boîte de Benidorm... Mais tout cela sert surtout de cache-misère à un cinéma terriblement superficiel et profondément déplaisant.
[Critique écrite en 2018]