Sommet de genre qui va aboutir à "King Kong" (1933). Chef d'oeuvre du muet. Longue vie aux dinos !

« Le Monde perdu », c’est un objet cinéphilique particulier à ne pas mettre dans toutes les mains. Déjà, si on le possède, ça veut dire que le cinéma tient une place particulière dans notre cœur. Ou bien que l’on veuille découvrir le septième art et l’on ne sait pas par où commencer.
Dans mon cas, je resterai sur la première affirmation.
Enregistré il y a quelques années sur Arte (comme par hasard, me diriez-vous !) et visionné le 11 novembre, voici ma critique complète certes mais qui saura rebuter ceux qui n’auront pas le courage d’aller jusqu’au bout. Tant pis, mais je me lance quand même. A tous les autres, bon courage et bonne chance !


« The Lost World » est d’abord né de la plume d’Arthur Conan Doyle, écrivain prolifique et inventeur du non moins connu Sherlock Holmes.
Le roman, paru en 1912, a très vite été victime de son succès (de nombreuses expéditions vont sillonner l’Amérique du Sud). Il s’agit du premier tome qui met en scène le personnage de Challenger. Les quatre autres suites seront : « La ceinture empoisonnée », « Au pays des brumes », « La machine à désintégrer » et « Quand la Terre hurla ».
Première adaptation au cinéma de l’œuvre d’Arthur Conan Doyle, « Le Monde perdu » sera un immense succès commercial dès sa sortie.


Arthur Conan Doyle apparait dès le début du film.
Avec cette bonhomie toute particulière, on ose imaginer que de ses propres mains, il a écrit les bases de la littérature des monstres, et par la même occasion les bases des films au bestiaire mal venu. Cet imaginaire a donc été créé par lui (il y eu d’autres écrivains au dix-neuvième siècle qui se sont également inspiré des thèmes de l’horreur et du fantastique : H.G. Wells, Stoker, Verne, Orwell…).
Par son écriture, il a également inventé le film d’aventures moderne (pas étonnant que Spielberg lui rende hommage sept décennies plus tard à travers le nom de sa suite ultra-connue -« Le monde perdu »- mais aussi par le premier volet de ces aventures crichtonniennes).
Si par les cinq dernières minutes du film, on pense savoir d’où vient le monstre du Loch Ness, c’est par la capacité du spectateur de se projeter dans un univers imaginaire tout droit venu des croyances écossaises, et donc des idées doyliennes. La magie de la littérature… . C’est donc, par cet imaginaire collectif, que le film est ainsi basé sur l’écriture doylienne. La magie du cinéma fonctionne également.
Le réalisateur ouvre et ferme la boucle tout en rendant ainsi un hommage à l’auteur. Comme si ce film de monstres aurait dû être le premier et le dernier.
Avec de la modernité, et en avance sur son temps, le réalisateur Harry O. Hoyt, en 1925 !, est ainsi le précurseur (et un novice !) du film de monstres. Merci.


Le scénario du film est donc adapté de l’œuvre de Doyle par la scénariste Marion Fairfax, actrice de théâtre qui s’est tournée vers le métier de scénariste, une pionnière de la dramaturgie moderne.
Si l’on devine aujourd’hui la maigreur et la rapidité facile du scénario, c’est parce que justement l’on est bercé aujourd’hui avec des produits (films et jeux vidéo) surfaits, survitaminés et grossis à foison par des effets numériques qui cartonnent pour nos beaux yeux.
Posons-nous en 1925, avec cette adaptation du classique de Doyle, avec un scénario ingénieux mais trop vite consommé en effet. Même les personnages sont esquissés à gros traits.


Parmi un casting assez bien dirigé, on retiendra sans vergogne les trois acteurs suivants, convaincants à souhait :
- Lloyd Hugues, en jeune journaliste qui se transforme en aventurier sans peur et sans reproche, charismatique. Il a joué pour King Vidor, Tod Browning, Alexander Korda…
- Bessie Love, cette femme démunie face au danger va se rapprocher de l’aventurier. ‘Baby star’, elle aura réussi à traverser les époques : « Intolérance », « Isadora », « Les prédateurs » …
- Lewis Stone, impeccable en ami du père de Bessie Love, est une figure incontournable des années 1930-40 (Clarence Brown, Cukor, Capra… l’ont fait tourner) qui trouvera son dernier rôle dans « La perle noire » de Richard Thorpe.
A travers la caméra, leurs regards et leurs postures, même si elles sont les clichés d’aujourd’hui, ce casting trois étoiles réussit haut la main à dynamiser le long-métrage grâce à leurs attitudes très bien retranscrite à l’écran.
Avec également Wallace Beery (oscarisé pour « Le champion » et médaillé du meilleur acteur à Venise pour « Viva Villa », Wallace était cet acteur indétrônable du cinéma hollywoodien) en second couteau, le fameux Challenger, qui apporte le côté mystérieux du film.


Si j’ai expliqué que le scénario et que le casting est assez approprié, venons un peu du côté négatif du « Monde perdu » : la musique. Ce n’est pas un atout, clairement, pour ce film muet.
Elle est vraiment assez inadéquate en première partie et très omniprésente pour ne pas dire intrusive. Même un peu lourdingue par endroit. Davantage calquée et minutieuse dans son exploitation en seconde partie car elle appuie le sentimentalisme des personnages. Elle est ainsi plus travaillée, plus languissante, moins omniprésente et plus subjective. Ce n’est pas la bande-son du siècle, certes, mais elle se fait plus douce et plus calme pour ce métrage qui a besoin de rythme et d’engouement.
A elle-seule, la musique représente ainsi une certaine identité sur le film d’aventures des années 1920 dans le cinéma.


J’en arrive donc à la force et la qualité première du film. Vous l’avez deviné, ce sont les effets spéciaux.
Et quand je parle d’effets spéciaux ici en 1925, il s’agit des décors, des costumes, des plans, de l’incrustation des images les unes sur les autres, ………
Il fut un temps où certains métiers du cinéma n’existaient pas ! Superviseur des effets visuels, décorateur de plateau, production designer ou directeur artistique, chef décorateur et chef costumier sont tous des métiers qui sont apparus avec l’évolution du cinéma.
Ici, Willis O’Brien et Marcel Delgado sont responsables des effets spéciaux. Donc des décors, des plans, des couleurs des dinosaures, de la coordination des cascades, des effets visuels, …… et bien entendu, des effets spéciaux !
De plus, Marcel Delgado, du fait de sa nationalité mexicaine, ne fut jamais crédité pour son apport des effets spéciaux sur les films pour lesquels il a collaboré (les mêmes qu’avec Willis puisque les deux sont devenus amis).
Marcel et Willis (formateurs d’un certain Ray Harryhausen sur « Mighty Joe young » qui recevra l’Oscar des meilleurs effets spéciaux), même pas la trentaine pour ces deux joyeux lurons lors du tournage du « Monde perdu » ont donc conçu les premiers dinosaures de l’histoire du cinéma. Révolutionnaires et précurseurs en la matière. Du pur génie !
Ce duo, célèbre pour leurs travaux sur « King Kong », novice en 1925 s’attèlent, pour les mouvements et les affrontements sanglants entre dinosaures, au stop motion. Il est ici réalisé pour la première fois dans l’histoire du cinéma avec des acteurs en prises de vue réelle et des personnages d’animation en volume sur un même plan. Révolutionnaire ! (encore une fois).
En avance sur leur temps, Marcel Delgado et Willis O’Brien posent les jalons des effets spéciaux moderne qu’ils vont réussir à transcender huit ans plus tard pour « King Kong ».
Déjà, en 1925 et 1933, ils pondent des effets spéciaux miraculeux qui resteront la référence jusqu’à l’apparition des premières images de synthèse avec ILM (« Star wars », « Indiana Jones », et plus tard, « Jurassic park »). Donc dire que le duo Marcel & Willis sont les pionniers des effets spéciaux moderne, c’est non seulement leur rendre un hommage mérité, mais aussi appuyer leur importance capitale dans la fabrication des effets spéciaux dans le septième art.
Ces effets ont été le top du top d’hier mais font résolument vieillots aujourd’hui. Également, la qualité du stop motion, pour l’animation du bestiaire (les monstres et les dinosaures), amène cet effet kitsch et franchement salvateur pour la conformité d’un film des années 1920.
Des effets spéciaux ainsi kitsch, qui résistent vaille que vaille au temps, et qui font encore aujourd’hui la splendeur de ce « Monde perdu » au milieu de l’Amazonie.
Les effets spéciaux du film, à travers des décors savoureux avec une dose d’exotisme, correspondent à la curiosité par essence de ce film.


J’en arrive ensuite à la mise en scène.
Mais tout d’abord au montage, par ailleurs très bien réalisé, fluide. Il est le dynamiteur de l’histoire.
Le réalisateur Harry O. Hoyt. (qui a conçu une vingtaine de films durant la période du muet) propose une mise en scène additionnelle qui parfois se perd et parfois reste dans le bon ton.
Il propose quelques belles idées, notamment celle de la migration des dinosaures lors de l’éruption du volcan. Un plan de cinéma digne des plus grands jamais réalisé. Merci Monsieur le réalisateur !
Également, il passe aux tons des verts lorsque l’on arrive en Amazonie. Ensuite, il se rapproche de l’orange et du rouge pour l’explosion du volcan par les teintes de la pellicule. Nous avons ici droit à un chef opérateur au top ! Le directeur de la photographie n’est autre qu’Artur Edeson, l’un des pionniers de son métier ! A son actif : « Robin des bois » d’Allan Dwan, « Frankenstein », « La ville gronde », « Le faucon maltais », « Casablanca », … et tant d’autres !
Edeson fait ici le lien naturel entre effets spéciaux et mise en scène. Encore bravo maître Edeson ! (on peut rajouter : d’avoir participé à l’évolution du cinéma par ses techniques, toutes révolutionnaires, qui influenceront les Fritz Arno Wagner, Zsigmond, Storaro, Decaë, Spinotti, Ballhaus….).
Il manque à cette mise en scène scénique et théâtrale un côté naïf et de poésie. Sans doute à cause de cette première partie et de ce rythme légèrement saccadé en seconde partie.
Une mise en scène trop théâtrale qui se fait trop brinquebalante en dépit d’un film d’aventures pourtant très bien raconté.
Sans doute que la remastérisation a été pour quelque chose dans mon jugement et qu’elle a donné de belles idées (la colorisation : encore merci maître Edeson) sans pour autant aider la poésie de l’histoire qui devait originellement porter ce conte d’aventures.


Je n’ai ainsi assisté pas à un coup de cœur cinéphilique réussi mais bien à un chef d’œuvre d’aventures authentique et rustique qui peine à résister au temps, sans doute en dépit des ajustements techniques d’aujourd’hui.
Je plaide donc à l’indulgence en faveur dudit métrage.
Il s’agit donc d’un classique de l’aventure pour un chef d’œuvre du genre qui a engendré nombre de descendants pour une floppée de monstres tous plus réussis les uns que les autres : « L’île du Docteur Moreau » -la version avec Bela Lugosi et Charles Laughton-, l’inoubliable « King Kong » de 1933 -avec la vedette Fay Wray-, « Godzilla » -réalisé par le japonais Hishiro Hondo-, « La planète des singes » de Franklin J. Schaffner, « La vallée de Gwangi » -le concepteur des effets spéciaux n’est autre que Harryhausen (comme indiqué ci-dessus au paragraphe effets spéciaux)-, l’éternel « Jurassic park » de Spielberg, le film d’animation « Dinosaure »……


Evoquer « Le monde perdu », considéré comme l’un des meilleurs films d’aventures jamais réalisés, c’est donc parler cinéma et de son évolution à travers les figures qui l’ont façonné, à l’instar des frères Lumière qui ont inventé la technique du cinématographe.
Les dinosaures du « Monde perdu » renvoient ainsi la photo de ceux qui ont fabriqué et façonné le cinéma avec leurs propres mains. En 1925, tout se faisait avec des doigts !


Pour conclure, « The Lost World », le préfigurant de « King Kong » de 1933, succès colossal bluffant, est incontestablement un monument artistique du muet. Ou quand la magie du cinéma opère… .
Chef d’œuvre du muet.


Spectateurs, savez vous où se trouve les hauts plateaux amazoniens ?

brunodinah
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le 15 nov. 2020

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