Rano84 c'est un gars bien sympa qui prend des initiatives non moins sympas. Il a crée une liste tu vois, il y met des liens pour découvrir des films jusqu'à lors introuvables chez nous, du moins en dvd. Au début, avec La Vallée de Gwangi je m'suis dit "Ouais, belle initiative, ça fera surement une jolie liste de films que j'ai déjà vu 10 fois, mais c'est une bonne action pour le tas d'incultes qui forment le terreau démographique de ce site". Mais dès le deuxième film, Rano84 remet le couvert avec un putain de Jack Arnold. Bordel. Excusez-moi du peu. Le genre de Jack Arnold dont on a jamais vraiment entendu parler par ici, excepté noyé dans un mutisme timide, écrit en rouge au milieu du paragraphe "filmographie" sur Wikipédia. Un grand merci à lui pour cet acte de générosité providentielle.
Jack Arnold, histoire de me replacer par rapport au type, est tout de même présent dans mon top 10 réalisateurs depuis quelques temps maintenant, et c'est donc avec un brin d'intérêt que je me tournai vers cette brave proposition que de découvrir l'une de ses oeuvres introuvables.
Jack fait une première apparition remarquable dans le monde du cinoche de série B en 53 avec "Le Météore de la Nuit", un conte extraterrestre dont le point de vue général rejoint le sarcasme profond de "Le Jour où la Terre s'arrêta" de Robert Wise deux ans plus tôt. Le film décrit un être humain violent qui détruit avant d'apprendre, sclérosé par le couple de sa peur et sa prétention boursouflée, bâtissant la pire ombre démoniaque sur la différence au delà de toute compréhension. Jack continue sont chemin un an plus tard et se grave définitivement comme l'un des plus marquants réalisateurs du genre avec "L'étrange créature du Lac Noir", un de ses chefs d'oeuvre (n'ayons pas peur des mots), montrant l'homme pantin de sa toute puissante science, agir sans scrupules sur une nature livide, triste témoin désoeuvré des agissements de l'une des ses plus balbutiantes espèces, l'homo sapiens. L'année suivante, Arnold signe Tarantula, un film d'une technique incroyable qui a du terroriser bien du monde à l'époque, dissimulant discrètement derrière sa monumentale araignée ce même message plein de cynisme sur la gourmandise avide d'un savoir destructeur.
Nous sommes en 1958, un an après son plus grand film, l'adaptation du roman de Matheson, "L'homme qui rétrécit", dans lequel Arnold plonge un type perdu dans ses plus obscures interrogations sur le monde qui nous entoure, quand sort ce "Monstre des Abîmes", sorte de révérence très joliment exécutée, point final grinçant d'un extrême pessimisme sur l'oeuvre de ce conteur de génie. Les espoirs d'Arnold vers l'homme de demain son bien présents mais minces, et c'est avec son saisissant talent narratif qu'il illustre ici sa sombre idée d'une évolution arrivée à son sommet et prenant doucement le chemin terrifiant du retour, chute aussi glaçante que justifiée d'un homme déchiré entre sa volonté d'accéder à la plus haute place et sa toute puissante et suintante suffisance. L'homme a tout juste un pied en dehors de ce qu'il appelle avec une emphase criarde et lointaine "le primitif" et s'estime depuis longtemps l'espèce suprême, être dominant irréductible. Et Arnold sourit discrètement en livrant ce court film. Ça semble le désoler autant que l'amuser, jouant de sa tragique lucidité tout en se confirmant doucement comme l'un des réalisateurs qui utiliseront avec brio le cinéma horrifique et tous publics pour distiller des messages amers et forts.
Le savant, être de connaissance, de loin le plus en avance sur ses congénères, se retrouve la victime ironique de ses propres recherches, prenant d'un coup la place hideuse du cobaye étudié et disséqué.
Il devient à la foi sagesse morale et ignoble réalité primaire et destructrice, l'ensemble réuni en cet homme de science, représentant d'une race à la triste destinée.
Pour une fois, la traduction française foireuse du titre est on ne peut plus bienvenue, car c'est bien du monstre terré au fond de chaque être humain qu'Arnold parle ici, au travers des agissements de cette mystérieuse bête rodant sur le campus. Film court, bref et direct, dans la plus pure tradition du genre, version cynique de Dr. Jekyll et Mr. Hyde revisitée par un réalisateur dans le crépuscule de son Oeuvre où sa lancinante mélancolie rejoint son sourire en coin, gentiment moqueur, cruellement désabusé.