Remonter aux origines des filmographies des géants d’Hollywood permet souvent de comprendre le fonctionnement des studios : avant d’être célèbres et de pouvoir prétendre à ce statut d’auteur (notion typiquement européenne), les réalisateurs sont des employés qui répondent à des commandes, projets dans lesquels ils n’ont pas les moyens de réellement s’investir. Ainsi, Kazan tourne trois films sur la seule année 1947, et finira par en désavouer un certain nombre, dont ce Gentleman Agreement, parabole assez didactique sur l’antisémitisme.
Il faut bien entendu resituer le film dans son contexte pour en souligner l’intérêt, voire la nécessité. Au sortir de la deuxième guerre mondiale, l’antisémitisme a ses démons, qui sont loin de l’Amérique, et qu’on a officiellement vaincus. Sur le papier, l’affaire est donc entendue. Ce récit, qui met en scène un journaliste se faisant passer pour juif afin d’étudier les réactions de son entourage, permet donc d’interroger l’intolérance silencieuse et ordinaire.
La mécanique est toute trouvée : chaque personne transitant autour du protagoniste aura sa petite pique, plus ou moins explicite, naïve ou élaborée, de la cour d’école aux salons huppés de la haute société. La charge est assez mécanique, et le personnage de Gregory Peck, pourfendeur immaculé à qui il manque la vigueur ou la passion qu’on peut trouver chez Capra, liste assez passivement le catalogue des intolérances. Le film devient plus intéressant lorsqu’il s’attaque aux élites progressistes, qui, sous couvert d’un discours rôdé et unanime, s’arrangent toujours pour se limiter à la théorie. Le personnage de la fiancée cristallise cette dénonciation, qui joue toujours des voies de traverse (pour ne pas choquer la famille, pour ne pas te mettre mal à l’aise, etc…) pour tenter d’éviter le fameux vivre ensemble prôné un peu trop fort, et surtout pour les autres.
Mais le statisme du conte empèse considérablement l’ensemble, d’autant qu’on plombe systématiquement la démonstration par de longs dialogues explicatifs, notamment à l’enfant qui revit la même situation à l’école, l’occasion d’une explication par le père qui semble tout droit sortie d’un film pédagogique. Comme de bien entendu, la fin et ses rabibochages nous laisse face à un bel espoir quant à la possibilité de régler tous les problèmes, preuve, s’il en fallait une, de la pertinence de la démonstration. A ce stade du film, un autre mur invisible se dresse, entre le récit et les spectateurs, qui auraient aimé qu’on les infantilise un peu moins.