Sous ses allures de film délicat sur l’enfance, Le Musée des Merveilles est un conte initiatique illuminé et émouvant qui suit la fuite de deux enfants sourds à la poursuite de leurs destins. Beau et aventureux, le film de Todd Haynes déclare une nouvelle fois son amour pour le cinéma.


En ce moment même, le cinéma américain ressent le besoin de parler de l’enfance, de leur trauma, de suivre avec leur regard la genèse d’un monde qui se construit sous leurs yeux : comme Stranger Things ou même It récemment. Sauf que Todd Haynes, dans un genre bien différent, va plus loin que cela dans son analyse et magnifie cette bravoure de l’innocence. L’une des citations du film, que le jeune Ben connait de sa défunte mère, est « Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains d’entre nous regardent les étoiles ». Elle décrit parfaitement le film : d’une situation difficile, d’une origine inconnue, de la peur de la solitude, la promesse du mystère n’est jamais loin. Et le cinéma est l’une de ces étoiles.


Le Musée des Merveilles procure le même effet que The Lost City of Z de James Gray sorti cette année : voir le cinéma américain s’élever à un tel niveau de noblesse et d’humilité requiert une admiration instantanée. Le Musée des Merveilles est un film qui regarde autant vers l’avant que vers l’arrière, avec deux histoires à la temporalité différente (celle de Ben en 1977 et celle de Rose en 1927) : d’un côté il y a la dichotomie du noir et du blanc accompagnée par le cinéma muet des années 20 et de l’autre, la souplesse crade et l’imagerie funky des années 70.


Le cinéma de Todd Haynes, derrière son élégance et son fétichisme presque maniéré, est un cinéma de la liberté. Du parcours de deux enfants dans la mégalopole aussi enchanteresse que dangereuse qu’est New York, Le Musée des Merveilles appuie avec aisance sur la corde du romanesque : pour le cinéaste c’est une manière pour lui de parler à la fois de son amour pour des personnages asphyxiés par les ressorts de la vie que de son admiration pour les possibilités que le cinéma lui offre. Dans cette course contre la montre, qui voit Ben chercher un père qu’il ne connait pas et la jeune Rose trouver une star qu’elle adule, l’espace-temps se décroit autant qu’il s’accroit, les décors changent mais cette énergie de découverte reste la même.


Chez Todd Haynes, la naïveté ne rime jamais avec guimauve car sous couvert d’une émotion palpable, l’univers dépeint se veut d’une pudeur sans égale : comme Carol, qui ressemblait parfois fortement à In The Mood for Love, le cinéaste caresse les sentiments de ses personnages au lieu de les exploiter comme en témoigne ce premier souvenir de Ben, un souvenir égaré et langoureux, entre lui et sa mère lors d’un de ses anniversaires où la rare mais éclatante Michelle Williams erre dans la scène comme un fantôme irrattrapable.


Le Musée des Merveilles aurait pu s’avérer très scolaire voir assez monocorde, studieux mais creux dans sa reconstitution d’époque mais c’est tout le contraire. Et même si les scènes se font échos d’une époque à l’autre, cela accentue la portée similaire et gémellaire des origines de nos deux protagonistes. Todd Haynes dévoile ici un écrin sublime, qui derrière la beauté de ses images, est d’une intelligence assez rare. Quand la caméra se pose et découvre le monde qu’elle nous propose, le Musée des Merveilles superpose l’innocence de l’enfant à la phosphorescence du cinéma. L’aventure n’est pas seulement de connaitre la finalité du récit mais aussi de voir des genres de cinéma se modeler et s’animer devant nous sous la magistrale B.O. de Cartel Burwell : notamment à travers les vestiges d’un Musée, d’une chambre d’un garçon, d’une cachette, d’une immense maquette de New York.


Le souvenir, la mémoire, les intentions : c’est tout notre passé qui se lit dans la matérialité et les objets qui nous entourent, dissimulant alors les secrets les plus inavouables, comme l’amour intemporel pour un fils. En narrant le récit de deux jeunes sourds, Todd Haynes ne raconte pas seulement la bataille qui combat les obstacles, la quête de soi ou les prémisses de la tolérance mais dessine les contours du poids des images et du silence, car malgré les marasmes ou les larmes qui coulent sur les joues, lever les yeux au ciel nous permet de distinguer notre étoile.


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Velvetman
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le 19 nov. 2017

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