Peut-on réellement rendre compte du processus créatif d'une oeuvre, picturale ou autre, de manière cinématographique ? Rien n'est moins sûr, et le film d'art reste peut-être le genre documentaire le plus mal compris et le plus inabouti, non pas tant par sa méthode et ses tentatives que par ses propres sujets.
Clouzot essaie néanmoins, et c'est ainsi qu'il le présente dans son introduction, de saisir le geste de création. La méthode est archi connue mais intelligente : filmer, en transparence, la peinture prendre forme à coups de traits, de couleurs et de retouches. Le meilleur moment intervient néanmoins en voix off, quand Clouzot et Picasso discute, peinture à l'écran :
- C'est fini.
- Ce qui m'embête, c'est que les gens vont croire que tu as fait ça en dix minutes.
- J'ai mis combien de temps ?
- Environ 5 heures
- Maintenant ils savent.
Justifiant ainsi les limites de son système (les faux plans-séquences sont ponctués de cut très visibles), Clouzot ne se rend toutefois pas compte d'une richesse inexploitée dans son film : sa relation avec Picasso, trop rare dans le film, qui souligne pourtant deux génies au travail, deux amis qui se jaugent et se jugent sans animosité.
Cela n'empêche pas le film d'être véritablement envoutant, que l'on aime Picasso ou non, croisement incroyable entre documentaire et animation, splendeurs picturales prenant vie petit à petit sur écran. Gros bémol : la musique, insupportable, qui donne envie de couper le son constamment, au risque de perdre les échanges entre Clouzot et Picasso.
Il n'en reste pas moins une oeuvre très intéressante, forcément un peu datée mais en même temps intemporelle, comme l'oeuvre de Picasso elle-même.