Le film que Barbet Schroeder met en scène à partir d'un épisode rocambolesque de l'histoire judiciaire des années 80 vaut avant tout le détour pour la relation, qu'il dépeint dans toutes ses ambiguïtés, entre l'avocat Alan Dershowitz et l'aristocrate Claus von Bülow. Une relation faite de défiance, de mystère, d'attirance-répulsion, et surtout remplie d'inconnues. Tellement d'inconnues qu'à ce jour, 10 ans après la mort de la femme dans le coma depuis 1980 et 1 an après la mort de celui qui fut accusé dans un premier procès puis innocenté dans un second, on ne connaît toujours pas la vérité au sujet de l'accident à base d'insuline qui a plongé une riche aristocrate dans un coma jusqu'à la fin de ses jours.
Reversal of Fortune (un titre original riche de sens multiples) excelle dans cette étude noire d'un caractère bourgeois, qui met vraiment mal à l'aise : Jeremy Irons brille la plupart du temps dans son rôle, hautain mais jamais excessif, sans jamais en faire trop dans la peau du parfait coupable qui pourrait être innocent. C'est un film qui dépeint beaucoup le microcosme feutré de ces palais luxueux pétris de secrets et de non-dits. Dans les couloirs règnent des échos sur l'argent, le sexe, et le pouvoir. Bien sûr, le mari est le coupable idéal : sa femme était frigide et accroc aux médocs, lui collectionnait les maitresses et aurait hérité de 14 millions de dollars à la mort de sa femme. Schroeder a l'intelligence de ne pas se lancer dans un film de prétoire ennuyeux ou dans un film-dossier édifiant, il nous contraint à sortir des sentiers battus et suivre un chemin plutôt original.
Le personnage raffiné, séducteur, inquiétant, défendu par l'avocat presque à contre-cœur (il dira, à juste titre, au sujet de son client "It’s very hard to trust a man you don’t understand") est une excellente figure morale en ce sens qu'il navigue entre la culpabilité presque diabolique et l'innocence angélique. On ne saura jamais où se placer clairement, et ce n'est pas la voix off qui révèlera quoi que ce soit. L'avocat à en outre un discours très intéressant sur l'accaparation de la justice par les moyens financiers, une sorte de privatisation permise par la fortune via les détectives privés qui peuvent mettre en lumière certains éléments ou au contraire en dissimuler d'autres. D'un côté l'impassibilité tranquille de l'accusé, de l'autre l'effervescence de la justice, pour une reconstitution glaciale cernée de contradictions constructives. En toile de fond, peut-être une certaine fascination pour le mal propre à Schroeder.
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