Est-ce l'atmosphère particulière, ce vent qui ne cesse de souffler, ces sommets qui coiffent le palais de Mopu ? Ou est-ce la lumière tout en nuances, les jeux d'ombres subtils, les sublimes couleurs de ce paysage himalayen ? Les Servantes de Marie de Calcutta n'ont pas tenu plus de quelques mois avant de plier bagage, peu à peu gagnées par la folie hostile du lieu - et ce que j'interprète comme un rejet (inconscient ?) du prosélytisme chrétien par la société népalaise. Le spectateur, lui aussi, ressort du Narcisse noir avec une impression d'étrangeté obsédante.
En choisissant le décor de studio plutôt que le tournage en prise de vues réelles, Michael Powell a privilégié l'onirisme au réalisme. Bien lui en a pris car si l'on s'en tenait le seul scénario du film, celui-ci eût été mineur et vite oublié. Ici, l'important n'est pas l'histoire - assez convenue et cousue de fil blanc, peu aidée par une piètre direction d'acteurs et des scènes empreintes de ridicule 50 ans plus tard - mais bien l'atmosphère viciée, inquiétante et sombre. Elle submerge soeur Ruth qui se mue en assassine. Elle pousse les autres nonnes au bord de l'implosion. L'accueil des populations locales, au premier abord chaleureux, est à mettre en parallèle avec cet effondrement psychique progressif : n'est-ce pas la montagne, les indigènes, le saint-homme et même Joseph, qui sont à l'origine de cet empoissonnement par l'air ? N'est-ce pas là une métaphore de la résistance aux velléités universalistes de l'Occident, symbolisées ici par ce christianisme conquérant ? Sans tomber dans l'anachronisme - bien des comportements colonialistes ne semblent pas vraiment interrogées par Powell, notamment à travers le cliché du colon/mâle blanc dominant qui, contrairement aux religieuses, s'est adapté et a été accueilli - le Narcisse noir me semble receler des prémisses du post-colonialisme, mettant en scène une Inde certes soumise en apparence, mais profondément indépendante dans sa manière d'envisager le monde et la spiritualité.