Ce film est avant tout une succession de différents genres cinématographiques et l'on passe indifféremment du grandiloquent colonial au huis clos paranoïaque en passant par la romance, l'aventure ou l'horreur.
L'histoire se passe dans un couvent, bien nommé Sainte Foi, qui fût autrefois un harem et cette reconversion n'est pas sans ironie car ambiguïté et frustration sexuelles vont s'imposer dès le départ aux résidents de ce lieu situé en haut d'une falaise abrupte, abîme infernal s'il en est.
M. Dean l'interlocuteur des sœurs est ici présenté comme le tentateur dans son petit short et sa chemise ouverte, à regarder les nonnes d'un air ambigu alors que la beauté froide de Deborah Kerr ajoute encore au trouble et donne à son personnage un air de statue aussi rigide qu'inatteignable tandis que l'on perçoit l'agitation mentale derrière tant de stoïcisme.
M. Dean représente également le déclin de la civilisation occidentale. Il désacralise l'église en venant ivre à la messe de Noël ou accueille les nonnes torse nu sans se préoccuper de la bienséance.
Le loup entre dans la bergerie en la personne de l'adolescente dévergondée dont le numéro de danse ressemble à celle des 7 voiles de Salomé, puis du jeune général que les sœurs trouvent si charmant.
Judicieux parallèle entre le sage local immobile sur son lieu de méditation mais qui semble tout voir et plantée devant la porte du palais , la statue de Jésus qui paraît absent de ce lieu soi-disant sacré.
Le son des cloches s'oppose aux tambours du village comme un antagonisme entre Occident et Orient, colonisateurs et colonisés. CF Le film est sorti en 1947 la même année que l'Indépendance de l'Inde. Le réalisateur insiste sur le fait que cette communauté religieuse britannique qui ne s'intègre pas ni ne s'intéresse aux coutumes locales mais tente d'imposer les siennes.
La photographie en technicolor est remarquable d'élégance et un soin très particulier est porté à la représentation des paysages himalayens pourtant totalement artificiels. Pour l'éclairage, Cardiff le directeur photo avait choisi de s'inspirer notamment de la technique de Vermeer pour éclairer les pièces et les visages.
Film fini en une apothéose gothique digne d’Edgar Poe. La sœur au voile immaculé qui se couvre de saleté d’un côté et de l’autre celle qui perd la tête ressemble à un personnage de film d’horreur aux yeux écarquillés et au sourire narquois filmés en gros plan.
Le Narcisse Noir réveille véritablement un cinéma britannique longtemps endormi.