Le Noël des Looney Tunes
5.8
Le Noël des Looney Tunes

Court-métrage d'animation de Charles Visser (2006)

Après Disney, c'est aux Looney Tunes de s'attaquer (pour la deuxième fois mais pour la première fois en long-métrage) à l'adaptation du célèbre Chant de Noël de Charles Dickens.
Bien que toujours acquis à la version made in Disney (mais en aucun cas à son nouveau doublage de 2003, qui ne lui rend pas justice),force est de confesser que la version des Looney Tunes, très différente, m'est apparue intéressante à sa façon, avec ses qualités et ses défauts.
Comparons et voyons quels sont les plus et les moins de la version des Looney Tunes en comparaison avec Disney.



Le titre + ou - ?



Contrairement au Noël de Mickey dont le titre original n'est qu'une réappropriation du titre de l'oeuvre littéraire, Mickey's Christmas Carol, le Noël des Looney Tunes dispose d'un titre plus recherché, d'une allusion plus érudite: Bah, humduck !, détournement de l'exclamation fétiche de Scrooge: "Bah, humbug !"


C'est donc là un très gros + des Looney Tunes par rapport à la version de Disney



Le Synopsis + ou - ?



Disney a fait le choix d'une adaptation fidèle: au XIXe siècle, Ebenezer Scrooge, un vieil usurier avare, exploite le jeune et pauvre père de famille Bob Cratchit. Il exècre Noël et rejette les offres de son neveu fou de Noël autant que les suppliques des quêteurs venus lui demander de l'argent pour les nécessiteux. Lorsqu'il rentre chez lui, il reçoit la visite de son estimé associé, Jacob Marley .... mort depuis sept ans ! Le spectre l'avertit de l'arrivée proche de trois esprits de Noël qu'il lui envoie pour le préserver du triste sort qui l'attend s'il ne change pas. Les esprits apparaissent successivement à Scrooge, lui font revivre son passé, lui montrent le présent malheureux de Cratchit et prophétisent sa sombre fin et la fin non moins tragique du fils de son employé. Scrooge change du tout au tout, vient en aide aux miséreux, à Cratchit sans oublier de renouer avec son neveu.
Les Looney Tunes, eux, ont fait le choix d'une adaptation plus libre: Au XXIe siècle, Lucky Duck, un PDG obsédé par le profit, exploite ses employés, les use jusqu'à la moelle. Une de ses connaissances, fou de Noël, l'avertit que s'il ne change pas, il s'expose à la rencontre avec les fantômes de Noël. Lucky Duck ne tarde pas à recevoir la visite d'un autre PDG qu'il conçoit comme son modèle et qui est ... mort depuis le Noël précédent. Le spectre lui annonce la venue des esprits de Noël que, enfermé dans son magasin par ses propres ouvriers, dormant dans son coffre-fort, Lucky Duck va en effet rencontrer. Grâce à eux, Lucky Duck va revivre son passé, observer le triste présent de ses employés et voir son ridicule avenir. Il change alors du tout au tout.


Si le choix de transposer le conte de Dickens à notre époque est une excellente idée, une belle variation qui permet à certains spectateurs en mal d'identification avec ce qui n'est leur quotidien direct d'être plus en phase avec le récit, il reste néanmoins un peu trop libre et un prétexte à des sketchs topiques des Looney Tunes.
Disney se soumet à l'esprit de Dickens pour le réécrire à sa façon, les Lonney Tunes le réintroduit dans son propre show.


C'est donc ni un + ni un - des Looney Tunes par rapport à Disney.
Mention très forte cependant à ce joker que l'on entend souvent au quotidien pour justifier les injustices que l'on banalise, le sempiternel "C'est la vie", qui devient l'excuse du Scrooge des Tunes. Excuse qui se retourne contre lui.
Mention aussi aux jeux de mots sur les formules financières, comme "le résultats de tes actions" pour signifier les conséquences du mal que Scrooge fait autour de lui mais qui fait aussi penser aux gains que l'on fait en bourse.



Les personnages + ou - ?



Chacun des univers traduit la distribution des rôles de Dickens avec celle de ses personnages. Encore que souvent proches, examinons ces distributions:


DISNEY:
Ebenezer Scrooge: Picsou (Scrooge en VO, même hors de cette adaptation)
Bob Cratchit: Mickey Mouse
Fred, le neveu de Scrooge: Donald Duck
les quêteurs: Le Rat et La Taupe
Jacob Marley: Dingo
L'Esprit des Noëls passés: Gemini Cricket
L'Esprit des Noëls présents: le Géant des Haricots magiques
L'Esprit des Noëls futurs: Pat Hibulaire
Mr & Mrs Fezziwig: Crapaud & /
Belle, l'amour perdu de Scrooge: Daisy Duck


LOONEY TUNES:
Ebenezer Scrooge: Daffy Duck
Bob Cratchit: Porky Pig
Fred, le neveu de Scrooge: Bugs Bunny
les quêteurs: les ouvriers (Elmer le chasseur, le martien, Porky Pig, Charlie le coq, Pépé le putois, etc ...)
Jacob Marley: Sylvestre-Gros-Minet
L'Esprit des Noëls passés: Mémé et Titi
L'Esprit des Noëls présents: Sam le pirate
L'Esprit des Noëls futurs: Taz, le Diable de Tasmanie
Mr & Mrs Fezziwig: /
Belle, l'amour perdu de Scrooge: /


On notera que les choix pour Scrooge se ressemblent, ce qui permet de se rendre compte que Daffy a plus de Picsou que de Donald en réalité. Constat similaire pour Jacob Marley: deux maladroits semblables plutôt comiques.
Il est drôle de comparer certains choix, comme ceux des esprits. Disney, plus profond, choisit Gemini, la conscience, pour le passé. Les Looney Tunes, plus superficiels, insistent davantage sur la forte luminescence du spectre avec un Titi très jaune et très brillant. L'esprit du présent est géant chez Disney et minuscule dans les Looney Tunes.
Plus intéressant encore, le choix du rôle pour la mascotte des deux univers. Tandis que Disney se rappelle son passé d'enfant pauvre et, qu'en symbiose avec Dickens, il donne sa préférence à Bob Cratchit, le pauvre employé exploité, les Looney Tunes transforment Bugs Bunny en neveu de Scrooge ennoëlisé. Deux choix aussi intéressants l'un que l'autre.


Chacun a son enfant de Cratchit: le petit Mickey est touchant, la petite de Porky se soucie plus de porter un prénom moderne et de répondre favorablement au quota du politiquement correct.


La particularité des Looney Tunes, ce sont les employés multiples.
On peut ainsi traiter des nombreux Noëls présents, comme dans le conte, sans s'axer sur Cratchit.
Celui qui dort dans la rue et qui souffre du froid, celui qui est loin de chez lui et qui souffre de l'exil.


Si les Looney Tunes disposent bien d'un + sur ce point, ils accusent un nombre réduit de personnages, certaines étapes pourtant essentielles au portrait nuancé de Scrooge ayant été sautées. Ce n'est donc ni un + ni un -.



La tonalité + ou - ?



Chez Disney, il n'y a pas d'erreur: on vise à émouvoir et à édifier les jeunes générations.
Il y a de l'humour aussi, mais il est soigneusement dosé pour laisser leur place à la tristesse, à la nostalgie, à l'indignation et à la peur. Disney a bien compris où Dickens cherchait le rire, où il mettait en place l'émotion voire le blâme.
Chez les Looney Tunes, on évite le ton moralisateur, on pactise avec certains spectateurs qui cherchent à remettre les oeuvres du passé en question et qui ne supportent pas avoir à se remettre en question eux-mêmes. Cela a pour conséquence l'incapacité à choisir entre drôlerie et émotion, comme si chaque belle larme - qui se change glace comme celle du petit pingouin en début de métrage - devait être contre-balancée avec un humour, c'est le cas d'ainsi le qualifier, dévastateur.


Comparez plutôt Pat et Taz dans le rôle de l'Esprit des Noëls futurs !
Pat oublie sa vulgarité et cherche réellement à faire peur, incarnant l'effrayant Esprit des Noëls futurs quand Taz n'est que Taz jouant assez mal le même Esprit. Il rote, articule avec difficulté et l'adhésion est rompue.


C'est donc, même si une larmichette n'est pas impossible à quelques endroits, un gros - des Looney Tunes, qui cherchent plus à renouer avec l'esprit de leurs court-métrages des débuts qu'à réellement adapter Dickens.
Disney fait un hommage, Les Looney Tunes une parodie.



La Langue et les voix + ou - ?



Ce n'est pas nouveau, les Looney Tunes n'ont jamais eu leurs chances pour trôner à l'Académie Française. Ils usent du langage comme un effet de comique, entre bégaiements, zozotements et niveau de langage familier.
Cela dit, à ceux et celles qui persistent à se plaindre des inégalités devant le vocabulaire, qui seraient issues d'un déterminisme social: écoutez et faîtes écouter à vos enfants la version de Disney. Voilà un langage choisi, tout aussi drôle, vif, précis et qui a le mérite d'enrichir son auditeur. Bien entendu, si l'on se réfère aux doublages de 1983 ou de 1992 et non à l'infâme bouillie inspirée du vomi ambiant des doublages d'animation pour la jeunesse, où il semble qu'il faille être idiot pour plaire.
- pour les Looney Tunes


Pour ce qui est du casting vocal, cela se vaut totalement, même si j'aurais toujours une préférence pour les doublages de 1983/1992 de Disney.
Chez Disney, on retrouve avec émotion Philippe Dumat et sa voix si parfaite pour jouer les bourgeois et autre croquants, Roger Carel, Dieu vivant du doublage et belle incarnation de la conscience, Séverine Morizot, l'Alice d'Alice au Pays des Merveilles, et même, en fonction de la version choisie Gérard Rinaldi ou Guy Montagné, plus délirants l'un que l'autre !
Chez les Looney Tunes, on goûtera aux prestations toujours aussi folles et cool des deux Patrick: Patrick Préjean, de Tigrou à Sylvestre, il n'y a qu'un pas !, et Patrick Guillemin, le fameux inspecteur Fabre de la série Nestor Burma et grand nom du doublage de Daffy Duck. Eventuellement, on pourra percevoir la participation multiple du grand Benoît Allemane en Taz et en Charlie Lecoq. Et on n'entérinera pas le Surugue-Bashing, d'autant qu'il ne joue pas si mal. Mais, comme le regretté Guy Piérauld, je trouve ça triste.
Egalité néanmoins, donc un +.


Dans l'ensemble, Le Noël des Looney Tunes est un sympathique long-métrage, hilarant, agréable. Il fait passer un bon moment de visionnage.
Mais pris en tant qu'adaptation d'Un Chant de Noël, même s'il ne manque pas d'ingéniosité, c'est une occasion manquée de gagner en profondeur. Il souffre de la comparaison avec celui de Disney, sauf peut-être pour les aficionados de l'irrévérence (ou "tonto": vous fâchez pas, ça veut dire "génie" !)
Un métrage à voir moins dans l'esprit d'une adaptation comique que dans l'esprit d'un Looney Tunes comme les autres.


Brrr ! Bah, humduck !

Frenhofer
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste "M'en fous ! De toute façon, j'irai voir le film !" déclaration du cancre usuel

Créée

le 29 déc. 2018

Critique lue 493 fois

Frenhofer

Écrit par

Critique lue 493 fois

D'autres avis sur Le Noël des Looney Tunes

Le Noël des Looney Tunes
Casse-Bonbon
3

Le canard boiteux de Noël

Le Noël des Looney Tunes est un vidéofilm mettant en scène les célèbres personnages issus des séries Looney Tunes et Merrie Melodies. Le moyen-métrage s’inscrit dans le genre film de Noël, en...

le 25 janv. 2023

1 j'aime

Le Noël des Looney Tunes
Frenhofer
6

Humbug, my dear, hum, hum !

Après Disney, c'est aux Looney Tunes de s'attaquer (pour la deuxième fois mais pour la première fois en long-métrage) à l'adaptation du célèbre Chant de Noël de Charles Dickens. Bien que toujours...

le 29 déc. 2018

Du même critique

Les Tontons flingueurs
Frenhofer
10

Un sacré bourre-pif!

Nous connaissons tous, même de loin, les Lautner, Audiard et leur valse de vedettes habituelles. Tout univers a sa bible, son opus ultime, inégalable. On a longtemps retenu le film fou furieux qui...

le 22 août 2014

43 j'aime

16

Full Metal Jacket
Frenhofer
5

Un excellent court-métrage noyé dans un long-métrage inutile.

Full Metal Jacket est le fils raté, à mon sens, du Dr Folamour. Si je reste très mitigé quant à ce film, c'est surtout parce qu'il est indéniablement trop long. Trop long car son début est excellent;...

le 5 déc. 2015

35 j'aime

2

Le Misanthrope
Frenhofer
10

"J'accuse les Hommes d'être bêtes et méchants, de ne pas être des Hommes tout simplement" M. Sardou

On rit avec Molière des radins, des curés, des cocus, des hypocondriaques, des pédants et l'on rit car le grand Jean-Baptiste Poquelin raille des caractères, des personnes en particulier dont on ne...

le 30 juin 2015

29 j'aime

10