Sur le décalage entre les envolées foisonnantes (souvent absconses) du roman et les exigences du cahier des charges grand public auquel on imagine qu'Annaud a dû se plier, pas besoin de s'éterniser : comme pour toute adaptation de roman (quelle qu'en soit la qualité d'ailleurs), le décalage entre perception de lecture et mise à l'écran ressemble toujours de près ou de loin à une désacralisation.
Il faut donc essayer d'analyser le film pour lui-même, comme objet cinématographique. Débarrassés de la comparaison avec "son" livre, et le recul des années aidant, que vaut ce film ?
Dans le registre film historique/en costumes grand public il pourrait bien être aujourd'hui une référence : les images ne sont pas recouvertes de cette patine trop souvent criarde de bien d'autres films historiques - patine qui nous met les protagonistes comme derrière le plexiglas d'une chambre de château (ou de monastère en l'espèce) qu'on ne pourrait visiter que depuis son seuil.
On pourrait certes dire, un jour où l'on se sentirait chafouin, que la réalisation abuse parfois de l'obscurité et des brouillards sordides en appui des rebondissements de l'intrigue. Mais mieux vaut l'excès de brouillard sur des moines et des villageois à moitié (voire carrément pour les seconds) sales qu'un excès de lumière sur des costumes/déguisements flambants neufs comme dans le Marie-Antoinette de Coppola fille ou dans n'importe quelle série pseudo historique du type Rome, les Tudor et autres Borgia.
Au-delà des impressions visuelles, l'immense mérite du film (pour l'amateur d'Histoire indécrottable que je suis) est de restituer brillamment les querelles infinies, souvent stériles entre les différentes et innombrables chapelles (l'auteur de cette critique n'étant pas totalement certain d'assumer ce jeu de mots trop facile) monastiques de l'époque. Ces querelles qui paraissent aujourd'hui, en étant indulgent, vaines et, en étant moins indulgent, grotesques, conditionnaient la vie des monastères, des villages qui en dépendaient et, par extension -un peu rapide - de l'occident médiéval.
Un film grand public qui met à la portée de tous, sans aucun raccourci ni aucune simplification, les querelles théologiques mais surtout politiques entre franciscains, dominicains et bénédictins et leurs implications mérite déjà le détour.
Enfin, les acteurs sont quasiment tous (le quasiment étant pour Slater/Adso) impeccables : entre un Lonsdale savoureux d'ambigüité, un Sean Connery plus charismatique que jamais et un Murray Abraham simplement parfait en inquisiteur froid, représentant largement auto-proclamé de l'autorité, on est très bien servis. Même les seconds rôles sont soignés, du franciscain/prophète/parano/éthéré au légat du pape et sa suite.
Du bon cinéma grand public qui ne massacre pas l'Histoire. Je suis de ceux qui, parfois, ne demande rien de mieux.