Virginie
La terre vierge
Comme une page blanche sur laquelle on rêve d’écrire quelque chose de nouveau.
Le nom de ce Nouveau Monde est déjà tout un programme.
Et tout respire la virginité ici. Des forêts sauvages, d’immenses prairies… Et même la belle princesse indienne. Tout semble attendre ces Anglais courageux, décidés à tenter l’aventure. Ecrire une nouvelle page de l’histoire de l’humanité. Pour John Smith, ce Nouveau Monde, c’est un lieu où “purifier son âme”. Il rêve d’une nouvelle société, plus juste, laissant plus de place à la spiritualité.
Pour les Indiens, tout prend une allure complètement différente. La musique de Wagner qui ouvre le film laisse peu d’espoirs. L’ouverture de L’Or du Rhin, c’est l’ouverture d’une tragédie qui se clôturera dans le sang. C’est la chute des dieux, la destruction du paradis. La fin d’un monde.
Il faut dire que ces Anglais débarque avec la mort sur leurs talons. Ils viennent avec leurs armes, s’approprient la terre et ses fruits, et cherchent, à peine touché terre, à exécuter le brave John Smith. Ils arrivent avec l’idée que tout est à leur disposition, cette idée fortement occidentale selon laquelle la terre leur est soumise, que tout leur est permis.
D’emblée, ce qui frappe, c’est la différence entre ces deux cultures. D’un côté des Anglais tellement coupés de la nature que tout leur semble dangereux : les arbres, les animaux, les marécages… De l’autre des Indiens vivant en parfaite harmonie avec cette nature. Les plans qui ouvrent le film nous les montrent évoluant dans l’eau, en parfaite symbiose avec les éléments.
Vivant par la violence, les Anglais imaginent que les autres, en face, font de même. Ils déploient leurs idées, projettent leur philosophie sur les autres, comme si tout le monde pensait comme eux. La colonisation n’est pas seulement territoriale, elle est culturelle, philosophique, intellectuelle.
Le Nouveau Monde est une épopée.
Il suffit, pour s’en assurer, de constater que les premiers mots du film sont quasiment identiques à ceux qui débutent les textes attribués à Homère : une invocation à une divinité pour qu’elle aide à la narration de ce récit.
Nous sommes ici dan un épopée des origines, l’origine d’un continent, d’un peuple, d’une culture.
Et comme dans toute épopée, Le Nouveau Monde se déroule sur plusieurs niveaux.
Il est un film spirituel, sur notre rapport au monde, sur la fusion avec les forces naturelles. pas question ici d’un christianisme qui est, forcément, étranger aux tribus indiennes, mais d’un panthéisme solaire dont la princesse est la grande représentante, multipliant à l’envi ce geste consistant à lever ses mains vers le soleil.
La spiritualité passe forcément par un rapport apaisé avec la nature. L’humain n’est pas maître de la nature, il n’en est pas le possesseur. Il est assez intéressant de constater que, dans les films de Malick, la nature est quasi indifférente aux sorts des humains. Les arbres, le soleil, les animaux même regardent les gesticulations humaines sans que cela ne les intéresse le moins du monde. Mais les humains sont une des composantes de la nature, d’une nature qui forme un tout supérieur. Les Occidentaux, avec leur philosophie matérialiste, oublient facilement le côté spirituel des choses. Il faut voir la différence entre la nature sauvage, virginale, de l’Amérique, et la nature dominée, artificielle, stérile, du jardin royal à Londres.
Le Nouveau Monde est donc, aussi, la rencontre de deux cultures que tout semble opposer. c’est de cette rencontre que naîtra l’Amérique actuelle, et peut-être tout est-il déjà là, dans ce tiraillement entre la violence et la spiritualité, dans cette incompréhension entre les Européens et les Indiens, dans cette soif de domination et cet écrasement par la force de la nature, dans cette volonté d’entreprendre, de découvrir, liée paradoxalement à ce rejet de l’autre.
Car Le Nouveau Monde est une histoire de rejets. Deux peuples qui se rejettent mutuellement, une princesse rejetée hors de sa tribus, un “capitaine” rejeté par “son” armée…
C’est là que se joue le troisième niveau du film.
Il est au niveau des individus.
Principalement de John Smith et de celle que l’on ne nommera jamais Pocahontas.
Deux personnages qui vont constituer un lien commun entre les deux cultures.
Car Malick est trop intelligent pour faire une simple opposition binaire entre deux peuples. Cette opposition doit être dépassée. Et l’acte de naissance de l’Amérique se trouve sans doute là, dans cet amour qui unit ces deux êtres.
Ce n’est bien entendu pas un hasard si c’est à John Smith que cela arrive. Dès le début, il nous est présenté comme différent des autres Anglais, chez qui il est emprisonné. Plus spirituel, à la recherche d’une rédemption, d’une nouvelle vie, volontiers utopiste cherchant à profiter de cette nouvelle terre pour construire une société différente, plus juste, plus équitable, John Smith n’a pas grand chose à voir avec les Occidentaux. D’ailleurs, il est quasiment muet avec eux, alors qu’il parle aux Indiens. De fait, c’est lui qui va à la rencontre des Indiens, qui s’ouvre à eux, au point d’être accepté parmi eux, ce qui donne peut-être les plus scènes du film, ces moments en apesanteur, hors du temps, hors de tout souci narratif également.
Mais c’est bien la princesse qui trouvera la solution qui permet de dépasser les différences. Alors que Smith, tiraillé entre son attirance vers le mode de vie indien et sa fidélité à l’Occident, ne pourra résoudre le hiatus que par la fuite, c’est elle qui trouvera la force nécessaire. Une princesse rebaptisée, enfermée dans des vêtements occidentaux, présentée à la cour comme une curiosité, au même titre que les animaux en cage, obligée à se plier à un mode de vie complètement différent du sien, relocalisée dans un monde si différent du sien… Car si la Virginie est un lieu ouvert, où l’horizon est infini, au même titre que les plaines, Londres est un lieu de la fermeture, avec ses hautes murailles et ses petites maisons. Là où le seul bâtiment que l’on voit chez les Indiens est un bâtiment collectif, symbole d’une vie en communauté, les Occidentaux eux vivent séparés les uns des autres, et leurs maisons servent à les isoler et non à les réunir. Or, depuis qu’elle est baptisée, la princesse vit dans ces espaces clos, renfermés, qui atrophient la spiritualité, asphyxient l’âme.
C’est pourtant là que l’ancienne princesse va comprendre.
Ce qui sauve, c’est l’amour.
Car l’amour amène la grâce.
La route est alors toute tracée, menant logiquement à Tree of life.
Article à retrouver sur LeMagDuCiné