Un grand « paon » de cinéma

On ne saurait jamais assez le répéter : Alain Cavalier est un artiste précieux, subtil et tendre. Son dernier film en date, Le Paradis, se revêt au premier abord des atours d’une toute petite chose, fragile, puis explose en une beauté lyrique d’une exquise douceur, y compris lorsque le récit se fait plus dur. Une œuvre inclassable, mêlant à souhait le sacré et le profane (voire le prosaïque), traversée de superbes aberrations et d’audaces salvatrices.

Avec une totale économie technique, Cavalier fait, comme à sa bonne habitude, marcher à pleins tubes les pouvoirs de la fiction même dans les tréfonds les plus intimes (et intimistes) de ses récits. Le moindre détail, chaque image ou parole s’incarnent avec une puissance d’évocation insoupçonnée et sidérante qui fait naître des plans à la persistance inouïe et noue quelques épisodes proches de l’épopée.

Le Paradis fait montre de grandes sensibilité et justesse de ton. Alain Cavalier parvient à nous passionner et à créer un suspense étonnant autour de fragments narratifs, par moments indépendant les uns des autres, comme la subsistance à travers les saisons d’une minuscule pierre tombale fixée au pied de l’arbre où il a trouvé le corps inerte d’un petit paon. La séquence de présentation d’une Ostie et la relecture de la Cène qui y est adjointe sont aussi de purs joyaux. Des scènes suspendues dans le temps et l’espace d’où ne ressortent que la beauté et la poésie, l’humour aussi parfois.

L’œuvre poétique envoie valser l’apparence prosaïque des moyens utilisés et pourfend l’espace cinématographique par la mise en forme d’une imagination sensible, belle et transcendante. Le spectateur est plongé dans un état de demi-rêve, demi-éveil, où tout objet quotidien, chaque animal ou autre composant de la nature peut être teinté de magie, de poésie, de fiction. Tout est porteur d’histoire, belle, futile, terrible, pour retrouver la beauté du monde et la puissance de l’imagination au travers de ce film « home-made » de classe mondiale (ce qui n’est pas sans faire penser à un autre grand film de 2014, « Adieu au langage » de Jean-Luc Godard). Une œuvre puissante et inspirante, comme un cri feutré de liberté, portant aux nues l’importance des arts cinématographique et vidéo réunis.

Rémi Labé