Un jeune homme maladroit, une jeune fille timide, un lieu de verdure, rien de plus. Second long-métrage de Damien Manivel, Le Parc, sorti en 2016, est grand par son minimalisme. L'histoire est simple, deux adolescents se retrouvent dans un parc, se découvrent doucement, s'embrassent, puis cet idylle se brise par le renoncement relationnel du jouvenceau. Si le parc était auparavant un huis-clos féerique où le vert resplendissait, ce dernier événement dichotomise le film. D'un vrai saisissant à un onirisme perturbant, Damien Manivel parvient à changer littéralement l'atmosphère de son film.
Dès le premier plan, Le Parc marque d'un trait bien singulier son envie de retranscrire le réel. Le jeune homme est assis sur un banc, visiblement en attente. La scène n'est pas commune, ou du moins l'est trop. La « première partie du film » est particulière dans le sens où le spectateur y retrouve de véritables symptômes de vie. Pierre Manivel n'a dans son cinéma peur ni du silence, ni de l'attente, c'est pour lui « ce qui donne de la force aux paroles » et cela fonctionne. Les personnages sont hésitants mais ne semblent pas gênés, or le spectateur l'est, et chaque parole résonne comme un soulagement. Mais s'il est bon de les voir parler, bien souvent les sujets sont triviaux, on décrit le temps, pointe du doigt des enfants qui s'amusent, discute de banalités qui n'intéressent pas plus l'interlocuteur que le locuteur. Et en réalité, les silences en disent plus que les mots. Un premier baiser est toujours marqué par l'appréhension qu'il génère, les personnages s'enfoncent dans les bois et se trouvent ici enfermer dans un cocon de végétation, sans se dire un mot, c'est corporellement qu'ils apprécient ce moment. La scène est lascive, envoûtante, belle par son mutisme. Ils ne font que passer, ils découvrent le parc en même temps qu'ils se découvrent. Pourtant, le film n'est pas dépourvu de bruit et le son des activités du parc composent une magnifique symphonie du réel. Les personnages parcourent un lieu qui n'est probablement pas aussi volumineux que Damien Manivel veut le faire croire, les plans sont fixes et offrent sans cesse à voir un nouveau tableau, une nouvelle composition, de nouveaux bruits de vie. Toujours, les protagonistes entrent puis sortent du plan par le hors-champ, l'impression qu'ils entravent sans parler à la plénitude de chaque lieu s'installe. L'heure de la séparation approche, l'adolescent s'en va et Naomie, la jeune fille, reste seule. Elle observe devant elle, dans l'espoir qu'il revienne, et la lenteur de ce passage redonne à un public de cinéma, qui n'en a plus l'habitude, la notion du temps. S'en suivra un plan séquence qui, bien qu'étant incroyablement statique et dépourvu d'action hormis l'envoi et la lecture de quelques messages, n'en est pas moins le plan le plus marquant du film. Ce silence d'un quart d'heure fascine, donnant à voir l’atrophie émotionnelle d'une fille ayant idéalisé ce qu'elle avait vécu il y a si peu de temps. Le silence est ainsi sublimé par une extinction lente et progressive de la lumière du soleil. L'éclat de cette belle journée s'amenuise, laissant apparaître le présage bien plus sombre de la désillusion. Le spectateur entre alors dans un parc qui n'est plus comparable à celui qu'il a connu. Le silence perdure et l'attention que l'on lui porte augmente pourtant. Naomie réalise en marche arrière le parcours de la journée pour « revenir en arrière ». Elle rencontre un gardien du parc qu'elle tente d'ignorer, toujours taciturne, et ce dernier va la suivre, en la priant d’arrêter. Damien Manivel parvient prodigieusement à varier les ambiances de son film, c'est dans une action de mal-être adolescent effarante qu'il anime le rire. Ce même rire deviendra peu à peu jaune, le silence qu'entretient le gardien est accompagné de gros plans et cela devient finalement étrange, puis terrifiant. Embarquée avec l'homme, Naomie ne peut plus fuir et sera obligée d'enfin parler. Et comme au souhait de Damien Manivel, la parole gagne en importance, elle est nécessaire et si Naomie daigne le faire c'est qu'elle en ressent un besoin urgent qu'elle transmet directement à son spectateur. La fin pourrait en décevoir certains qui la verrait comme une facilité d'écriture, car en effet, la résolution d'un problème au sortir d'un rêve n'est pas vraiment originale mais elle permet en réalité de faire lien avec les écrits de Freud déjà cités au cours du film, ou d'autres psychanalystes. Elle modifie toute la signification des actes accomplis, le spectateur se lance dans un travail herméneutique du film en question. Naomie se lève, sans rien dire, et s'en va, le public attend une réelle chute qui ne viendra pas. A l'image du film, la fin est simple, mais efficace.
Le Parc s'inscrit dans une catégorie de film que l'on ne voit pas souvent tant son esthétisme, sa narration et son jeu d'acteur sont particuliers. Damien Manivel partage son envie de faire au plus proche du vrai, mais ne réduit pas son film à cela. Les dialogues, bien que moindres, en disent long sur la psychologie des personnages et les silences en font bien davantage. Les émotions voltigent, évoluent ou changent, entraînant avec elles un public qui ne peut être que surpris face à un film si simple. Étonnamment, Damien Manivel a compris que le vrai n'avait pas besoin d'être forcément dit et que faire simple ne l'était pas.