Si le premier Parrain était un "film de parole", mélange entre drame intime et film noir, une histoire de pacte familial transmis dans le sang et les génuflexions (grand film, faut-il le préciser), le 2 est un film du regard. Une peinture des vanités et de l'effondrement d'un monde qui annonce clairement (à mon sens) "Apocalypse Now".
Le "Parrain II" reprend le récit là où le "Parrain" l'avait laissé. Mais le temps a passé : l'époque du petit bizness et des guerres entre familles est révolue. Les parrains encore en vie se sont retirés dans leur pavillon de banlieue. De là ils contrôlent les empires qu'ils possèdent dans des paradis fiscaux. Tout le monde ment. Les politiciens corrompus marchent en tête ("Nous participons de la même hypocrisie" dit Michael à un sénateur pourri qui veut lui faire la morale). Mais ça n'est qu'à l'occasion des scènes à La Havane, lorsque tous ces tueurs en costards de soie se retrouvent pour se partager (littéralement) le gâteau maffieux de l'un d'eux, qu'on saisit vraiment la portée du diagnostic. Hyman Roth (Lee Strasberg, l'un des papas de l'Actors Studio), qui apparaissait précédemment comme un vieux maffieux plein de sens, a réuni tous ses partenaires/rivaux autour de ses ambitions. Il répond à un doute qu'exprime Michael au sujet de la révolution qui se prépare en écartant l'idée d'une pichenette. Et c'est alors qu'on voit le niveau d'aveuglement et de vanité de ces maîtres du monde, capables de contrôler des dictatures mais incapables d'en imaginer la chute (le fait que ça se vérifie dans le réel : un point de plus pour la note). Autour d'eux le vieux monde s'écroule et ils se grisent dans leurs palaces à regarder des filles danser le cha-cha-cha, sans imaginer que tout ça va s'arrêter et surtout qu'ils n'en ont plus pour longtemps avant de se faire balayer : pas par la révolution mais tout simplement parce qu'ils se bouffent entre eux (guère de différence avec les sauvages d'"Apocalypse Now" excepté que Jim Morrison n'est pas là pour leur dire "This is the end...").
C'est ce regard "visionnaire" qui amène "Le Parrain II" à se focaliser sur un personnage (alors que le 1 tenait beaucoup plus à un groupe). Michael (Al Pacino : souriant comme un croque-mort un lendemain de cuite) est l'homme qui incarne cette logique de la transmission mortifère. Personnage shakespearien, il n'est pas comme le Kurtz d' "Apocalypse Now" arrivé au détachement (malgré la lucidité qui pointe : visible lors du dialogue avec la mère). Il a fait sien pourtant ce savoir à la base de sa réussite : pour ne pas mourir, il faut être déjà mort. Il n'a donc plus aucune émotion, excepté une rage froide qui continue à l'animer et qui explose parfois dans un accès de violence (scène avec Kay/Diane Keaton). Le film est précisément lié à cette métaphysique du tyran (ou comment être mort pour ne pas mourir) : il en explore l'horreur, le mystère, en utilisant les évocations de Vito Corleone jeune (De Niro au temps de sa splendeur) reliées à travers des thèmes, des images qui sont en résonance profonde (l'enfance, la figure du père...). Coppola regrettait de ne pas avoir eu Brando sur le 2 (à cause d'une brouille si je ne me trompe) : en fait cette absence renforce le film car elle introduit une coupure radicale de Michael avec les figures familiales (et en particulier celle de son père au moment où il prend sa place, ce qui est illustré parfaitement par la dernière scène du film).
Au milieu de tout ce noir, une rare lueur : celle apportée par Fredo/John Cazale. Il est la jonction entre le monde de l'enfance et celui des croque-morts. Le "je vous salue Marie..." de son ultime scène : c'est comme si c'était le petit Fredo qu'on assassine. Beau à pleurer...