Théo Angelopoulos est considéré comme la figures émérite du Nouveau cinéma grec qui a mis en lumière cette nation que peu connaissent cinématographiquement en dehors des cinéphiles. Il est vrai qu'il y a quelque chose de beau dans ce qu'il fait et que sa réputation est loin d'être injustifiée. Après l'intéressant "Le Regard d'Ulysse" qui exprimait à la face du monde l'amour d'Angelopoulos pour le Septième Art et "Le Voyage des Comédiens" qui fut un abominable somnifère, je me suis jeté sur "Le Pas suspendu de la cigogne". Jusqu'à présent, c'est le film le plus engagé politiquement de son réalisateur que j'ai vu. Nous voilà plongé dans un monde cloisonné, anxiogène, où les frontières sont omniprésentes. S'y retrouvent les exilés ayant fui leur pays d'origine pour des raisons essentiellement de sécurité. Il est vrai qu'en ces temps l'Iran, la Roumanie et l'Albanie, pour ne citer qu'eux, n'étaient pas des modèles de démocratie.


Une occasion pour le cinéaste de parler avec son coeur, de filmer ces rejetés de la société, condamnés à vivre tels des parias dans ces villages insalubres situés hors de toute civilisation. Il nous offre le principe du cinéma dans le cinéma en filmant ces journalistes filmant à leur tour le désastre social. Angelopoulos est un humaniste pur jus qui dénonce un enfermement à ciel ouvert de ces hommes et femmes abandonnés politiquement. La défiance d'un soldat soulevant son pied à quelques centimètres de la frontière gréco-turque donne le ton d'un récit pointant du doigt l'existence même des frontières géographiques, sources de tensions politiques. A la manière d'une prison, ces lignes imaginaires isolent les hommes de moult cultures différentes les uns des autres pour les empêcher de s'élever autant intellectuellement que spirituellement. Une scène m'a ainsi particulièrement marqué : le rapprochement de deux groupes séparés par une rivière symbolisant la frontière. Ils se font signe, on ressent cette envie de s'ouvrir à l'autre mais ce mur aquatique empêche cette union fraternelle, cette communication qui les amènerait à se connaître. Et c'est par un simple coup de feu que chacun s'enfuit. La violence militaire associée à celle qui est politique est la source de tous ces maux. Après, c'est une ligne de conduite que chacun acceptera ou non de partager. En adoptant une posture plus cynique, on accusera cette prise de position de malheureuse utopie. Mais il est toujours bon de s'ouvrir à l'avis d'autrui quand bien même on ne sera pas d'accord, n'en déplaise aux facho de la pensée unique.


Toutefois, le cinéma d'Angelopoulos, et c'est paradoxal de dire ça, a du mal à m'atteindre. Si le fond prête chaque fois matière à une solide réflexion, c'est plutôt dans la forme que le problème se pose à mes yeux. Le refus du plan rapproché et des gros plans n'arrive pas à me convaincre. Je suis de cette école où le jeu d'acteur passe justement par cela. Hors, en éloignant la caméra, on réduit à néant l'aura charismatique des personnages principaux. Et on ne parle pas d'acteurs mineurs mais bien de Marcello Mastroianni et Jeanne Moreau, qui n'ont plus rien à prouver. Qui aurait cru que le talentueux Mastroianni allait me laisser de marbre alors que, d'habitude, il transcende l'histoire par sa seule présence. Capter les émotions, les mimiques, le ressenti ne peut se faire qu'en usant du rapprochement de la caméra. C'est un peu comme un délicieux plat dont l'assiette serait servie à 20m de la position où nous nous trouvons. Aussi attrayant soit-il dans la disposition de ses ingrédients, la distance nous empêcherait de nous mettre l'eau à la bouche alors que, servi à notre table, il ne tarderait pas à capter notre attention.


Reste que, toujours sur la forme, la bande son tient la route et que la part belle aux paysages hostiles crée une véritable ambiance mais en l'état, on ressort de là avec cet arrière-goût désagréable qui ne sera pas aidé par une mise en scène parfois bien trop apathique.

MisterLynch
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le 23 févr. 2022

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MisterLynch

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