L'image éternelle de la révolte
Ils sont quatre, alignés sur un banc, dans la salle d’attente d’une maternité, comme des petits vieux occupés à évoquer leurs gloires passées, les temps héroïques des révoltes et des amours lycéennes, à la façon, un peu des bourgeois de Brel évoquant les bourgeois
♫ les bourgeois, c’est comme les cochons, plus ça de vient vieux, plus ça devient …♪
ou encore le Boulevard du temps qui passe raconté par Brassens
♪ tous ces gâteux ces avachis / ces pauvres sépulcres blanchis / chancelant dans leurs carapaces / on les a vus c’était hier / qui descendaient jeunes et fiers / le boulevard du temps qui passe … ♫
Mais ils n’ont pas tour à fait oublié ces années-là, et ils sont là en souvenir du cinquième récemment disparu. Ils ont mûri sans doute, dépassé les rejets ou les rêves de ce temps-là, la tentation politique pour l’un, ou la musique, ou le foot, ou la boulangerie du père – et ils sont désormais avocat, architecte, kiné …
(Et si plusieurs séquences, plutôt réussies, les avait montrés en train de se débattre dans un environnement familial difficile, le cinquième justement, toujours présent, plus que charismatique avait lui gardé tout son mystère – famille ? projets ? … tout son mystère …)
Klapisch propose une belle évocation des dernières (ou quasi) révoltes lycéennes, avant la Bof génération, où la déconnance potache a d’ailleurs largement pris le pas sur les utopies et sur les perspectives politiques ouvertes en 68,
Années bistrot, flipper,
Années rock,
Années drogues, douces ou moins douces, acid trips,
Années squats,
Drague, souvent vaine,
Développement du féminisme,
Rêves d’évasion …
Et un des malentendus autour du film (il est devenu culte mais tout le monde ne l’apprécie pas pour autant) tient précisément dans le fait qu’il est aussi extrêmement réaliste – ainsi le ridicule des « argumentations » défendues par lycéens et lycéennes, sur la question du féminisme ou sur la plupart des questions abordées, la lourdeur (le terme est faible) des plaisanteries, le côté boloss (illustré par exemple par le personnage de Chabert / Vincent Elbaz et son ballon de foot), tout cela est parfaitement réaliste. Ils étaient cons, aussi, nous étions cons.
Réaliste, nostalgique mais sans pathos, et poétique, un très beau film, dont les images à présent peuvent défiler …
Le squat déglingué, et sa communauté, déglinguée et plutôt réaliste, sexe et drogue (avec voyages parfois très éprouvants) et discours abscons refaisant le monde,
Le dealer, parfaitement incarné par une apparition de Jackie Berroyer tel qu’en lui-même ?) dans un de ses tout premiers rôles, à l’aube de la cinquantaine,
La manif, dont le mouvement, le tourbillon est parfaitement rendu, malgré le manque de moyens lié au format téléfilm,
L’escalade de Tommasi / Romain Duris au sommet du portique, dans la cour du lycée,
Le conseil de classes, parfaitement grotesque, et là encore très réaliste (j’ai donné dans une vie antérieure),
L’affrontement avec le patron de bistrot en gros beauf,
Et les trois très belles histoires sentimentales, avortées ou non ; Barbara et Bruno, beaux au cœur du squat, au milieu de tous mais sans voir personne, coup de foudre, jalousie, et carrefour, aiguillage où l’on se trompe de côté , croche-pied du destin ; Christine et Léon, sur la plate-forme surplombant Paris, vue très belle ou très laide selon l’humeur, l’attente et le blocage, chez lui et chez tous, au bout du compte ; Tommasi et Sophie …
Ces aventures-là sont évidemment plus importantes ici que les manifestations « politiques » – à moins qu’elles ne disent la même chose mais en mieux. Et les femmes (parfaitement interprétées par Lisa Faulkner, inoubliable, Hélène de Fougerolles ou Elodie Bouchez) sont à l’évidence en avance sur les mecs.
(L’interprétation du reste me semble globalement très bonne. Et côté hommes, si Romain Duris et Vincent Elbaz sont parmi les jeunes les seuls à avoir vraiment rebondi, la prestation des autres me semble tout aussi méritoire, en particulier celle de Julien Lambroschini, dans le rôle du musicien amoureux-fou, mais tout en réserve et en finesse).
Reste le mystère de Tommasi – le cinquième et le plus présent, à la fois le plus adulé et le plus rejeté, jusqu’au rejet total, le plus mûr et le plus radical, aussi disponible qu’impossible à attraper … sans habillage familial, sans projet social, sans prénom même, Tommasi qui ,est mort au moment où commence le film.
La dernière scène éclaire tout – Tommasi n’est pas un personnage, mais une idée et un rêve ; c’est l’image éternelle, éternellement jeune, impossible à récupérer de la révolte. Et le film s’achève avec la naissance de son enfant – espoir.