Une scène, un dialogue, au début du film : lors d'un entretien préalable à l'examen de la demande d'asile, Ramasan se fait l'interprète allemand-tchétchène à l'intention de sa mère encore peu douée en allemand.
La dame (en allemand, à la mère de Ramasan) : « Vous avez à nouveau un ami, un mari, un partenaire ? »
Ramasan (en allemand, à la dame) : « Elle a des amies… mais un ami, non. »
La dame (en allemand, à Ramasan) : « Demande à ta mère si elle a un ami. » Elle lui adresse un sourire mécanique ; il lui répond par un sourire gêné. Et comme il n'ose pas traduire, elle insiste : « Allez, demande-lui ! »
La mère (en tchétchène, à Ramasan) : « Qu'est-ce qu'elle veut ? »
Ramasan (en tchétchène, à sa mère) : « Elle demande si j'ai un frère. »
La mère (en tchétchène, à Ramasan) : « Un frère ? Bien sûr que non ! » Elle se tourne vers la dame, et fait non de la tête.
L'espiègle petit homme a réussi son coup.
Par la force des choses, avant l'âge de 11 ans, Ramasan s'était vu échoir la responsabilité d'époux de substitution pour sa mère, de père de substitution pour ses deux sœurs. Il s'est improvisé lui-même adulte de substitution. Mais la place difficile d'un jeune immigré tchétchène en Autriche, les frustrations, les désirs et les amitiés déçues, trahies puis réconciliées auront raison de ce statut. Le père absent, mort à la guerre, s'avère être le premier traître : il était le violeur de sa femme avant d'en être l'époux. De sa trahison, apprise par hasard, découle sans doute les trahisons de Ramasan, ses délits, son ingratitude envers Issa. Issa, le mutilé, n'est-il pas lui-même un traître, à vouloir usurper la place de père que Ramasan s'était arrogée ? N'est-il pas un traître, à se laisser humilier par son patron (« Estime-toi heureux d'avoir un travail ! ») ? Ramasan cherche à se venger des trahisons, avant d'en ressentir l'inanité.
À l'aide de sa main cassée puis réparée, Issa répare une radio cassée. Timidement, Ramasan s'assied auprès de lui. Pas plus que la radio, ils ne parlent. Mais autour de cette radio silencieuse, en silence, vis après vis, ils finissent par réparer leur amitié.