Dans un style proche des frères Dardenne (le génie en moins), Sudabeh Mortezai livre une réflexion intimiste et réaliste sur l'enfance et la paternité.
Caméra à l'épaule suivant les mouvements des personnages, S. Mortezai nous dévoile peu à peu le quotidien de Ramasan, fils aîné d'une famille tchétchène amputée du père, dans un quartier populaire où cohabitent les nationalités et les défavorisés. Entre rendez-vous avec les services sociaux, courses au supermarché, remontrances aux petites sœurs, prières à la mosquée, petits larcins, tentative d'effraction, le tout couteau dans la poche prêt à sortir à n'importe quel moment, Ramasan fait les 400 coups en même temps qu'il se voit attribuer le rôle de chef de famille (ou tout du moins, d'homme de la famille) dont il ne peut encore assumer les responsabilités. Miné par les conflits culturels et l'absence du père, Ramasan grandit donc sur un champ de mines duquel veut le tirer Isa, un autre réfugié et ami de guerre du défunt père. Or, Ramasan, vivant dans le souvenir idéalisé du père mort au combat refuse cette projection paternelle, ce substitut pourtant bénéfique. Tuera-t-il ce « père »?...
La réalisatrice autrichienne d'origine iranienne, ayant étudié le théâtre au départ, parvient à créer avec ces personnages vivant entre deux cultures des tensions, un nœud dramatique sans pathos, du suspens aussi notamment avec ce couteau. Elle s'entoure d'acteurs non professionnels, vrais réfugiés, vrais acteurs sociaux, bien dirigés dans l'ensemble – principalement Ramasan (Ramasan aussi dans la vraie vie), aussi fort que sensible – qui improvisent autour d'une trame déjà écrite, construisant à mesure du tournage chronologique leur personnage.
Dommage que le film mette autant de temps à se mettre en place, à se révéler (au moins la moitié du film), car lorsque l'action s'enclenche, elle devient captivante. Par ailleurs, le fait de tourner de manière documentaire (à la Dardenne, comme nous le disions) écarte toute esthétique et réduit le film au narratif.
Au total, un film plaisant, bien mené, centré sur la question du père, rappelant Le retour, le premier Zviaguintsev (quoique de profondeur et d'intensité dramatiques moindres).