Adapter le chef-d’œuvre de la littérature enfantine de Saint-Exupéry en film de synthèse, le pari était osé ! Surtout avec le réalisateur de Kung-Fu Panda, film amusant, mais pas de la plus extrême finesse ni de la plus grande poésie, deux caractéristiques absolument nécessaires pour capter un tant soit peu l’esprit de Saint-Exupéry. Et pourtant, de ce point de vue, Mark Osborne mérite toutes les félicitations, ayant réussi à faire de cette adaptation pour le moins risquée un excellent film d'animation dont on ressort avec des étoiles au fond des yeux.
D’abord, le fait d’insérer l’histoire du petit prince dans un récit cadre qui décrit un monde incapable de rêver, entièrement tourné vers soi et vers la réussite, est une idée brillante, permettant de tordre le cou à certaines images d’Epinal, comme la femme émancipée au travail (qui délaisse complètement sa famille…) ou la vie entièrement consacrée à son avenir professionnel (qui détruit toute humanité chez l’adulte en devenir). En opposant cette vision taylorienne de la vie à la vision pleine de charme et de poésie du vieil aviateur en qui on pourra facilement reconnaître Saint-Exupéry, qui dénonce l’orgueil et la superficialité de cette vision, le film est une franche réussite et se rapproche des grandes réussites des studios Pixar, par exemple, évoquant sans cesse Là-Haut sur la forme (au moins les 10 premières minutes du film), et Vice-Versa (sorti un mois auparavant) sur le fond, particulièrement dans sa première moitié.
En effet, la deuxième partie du film, et notamment lorsque la petite fille part à la recherche d’un petit prince dénaturé qui a grandi dans un monde d’où le rêve, l’enfance et tout ce qui est inutile sont bannis, et le travail érigé comme un but en soi, est nettement moins séduisante. Cette vision d’un monde déshumanisé, si elle reste très « saint-exupérienne » sur le fond, évoque plus du Tim Burton sur la forme, ce qui n’est pas un défaut en soi, mais prend le risque d’effrayer le jeune public auquel le film est destiné.
Mais cela n’a pas trop d’importance, car c’est le message qui prime d’abord, une belle leçon de foi qui montre bien Le petit prince comme ce qu’il est tout d’abord : un récit qui n’existe pas pour lui-même, mais qui est d’abord tourné vers les autres, un récit qui aide à grandir tout en gardant son âme d’enfant. Et cette leçon, petit ou grand, on ne l’oubliera jamais : « Ne vois bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »