Incompris à sa sortie (1960), mal aimé par la gauche, censuré par le gouvernement qui bloqua sa sortie jusqu'en 1963, cette échappée saumâtre tournée à Genève est une fable politique synchrone avec la guerre d'Algérie. Bruno Forestier, un déserteur de l'armée française qui ne croit en rien, se retrouve embringué dans une organisation qui le pousse à éliminer un responsable du FLN. Cas de conscience, revirements, trahison, courage et lâcheté : c'est un festival du doute et du questionnement, autrement plus intéressant que celui de la solitude ou de la conviction. Godard montre ici comment une opinion se construit ou se défait, comment chaque camp peut être perméable à l'autre.
Genève, ville de secret, zone chic de trafic, frissonne en noire et blanc ; il y a le lac bordé par de larges avenues, des poursuites en voitures, le ciel blafard, le cauchemar de la torture. Le tout servi par une muse au doux accent - Anna Karina - et un romantique pressé - Michel Subor - anar rive droite avec ses faux airs de Maurice Roner, qui inspira l'intrus de Claire Denis -, le Petit Soldat est une réflexion sur la perdition d'un désœuvré qui se voudrait héroïque. Ce film dit beaucoup de Godard lui-même, de son scepticisme, des contradictions propres à tous les engagements, non sans témoigner d'un attrait fatal pour les causes perdues.