On ne sait pour quelle raison exacte, la documentariste Sophie Robert a décidé d’avoir la peau de la psychanalyse. Pour mener son entreprise à bien, elle a rencontré et interviewé plus d’une cinquantaine de psychanalystes, reconnus et faisant autorité, de tous âges, de toutes écoles, et n’en a conservé que dix-neuf, plus ou moins longuement, dans son montage final, organisé en chapitres, les « douze commandements » qu’elle prête à la psychanalyse.
A moins d’être d’emblée convaincu de la pertinence du discours de Sophie Robert et de se poser soi-même en « bouffeur de psychanalystes » - comme il exista autrefois des « bouffeurs de curés » (il faut croire que l’espèce pourchassée est presque entièrement décimée, les quelques derniers spécimens ne faisant plus résonner leur voix que dans les tribunaux, à la place de l’accusé, puisque leurs prédateurs, lesdits « bouffeurs », ont, eux aussi, presque totalement disparu ; de l’intérêt d’être « bouffé » ; Descartes n’y avait pas songé : Je suis bouffé, donc je suis...) -, on ne peut visionner les 120 minutes de ce film que dans un profond malaise ; qui plus est un double malaise, provoqué par deux aspects pourtant opposés de cette démarche.
L’aspect le plus évident concerne la forme, dans la mesure où celle-ci se laisse submerger, presque balayer par les intentions de la réalisatrice, également commentatrice en voix off. On n’assiste pas à un documentaire, mais à un réquisitoire, monté tambour battant, sous-tendu par une musique de mauvaise série judiciaire, dénonçant tantôt l’urgence, par son rythme haletant, tantôt le très vilain très méchant, par des crypto-graves qui se mettent soudain à vrombir comme des cornes de brume pour signaler le danger. On s’étonne même que des procédés aussi grossiers puissent trouver grâce aux yeux et oreilles d’un certain public...
Le malaise du spectateur est accentué par l’état d’innocence des interviewés ; ce qui est tout de même un comble, reconnaissons-le, chez les grands clairvoyants que sont en principe les psychanalystes... Aucunement informés de l’utilisation pour le moins polémique qui sera faite de leur image et de leurs propos, ceux-ci, questionnés avec une apparente bienveillance, exposent leurs théories avec une satisfaction et une confiance visibles, ce qui les place dans un rôle d’agneau peu compatible avec l’image de grand Satan manipulateur que voudrait leur faire endosser Dame Robert.
Quant aux propos rapportés, puisque là se trouve principalement le nerf de la guerre, c’est à leur écoute que va se lever la seconde source de gêne, sans doute plus problématique encore que la première. Car surtout dans les débuts du film, ces propos semblent relever d’un bon sens psychique peu contestable et on perçoit mal ce qui peut offusquer la réalisatrice ; le spectateur est plutôt réjoui par la liberté que se donne le psychisme, évidemment moins quadrillé que la morale, et moins encore que les us et coutumes ; le cerveau se rafraîchit à reprendre conscience de l’ambiguïté des places... sans parler de celle des sexes...
Et puis, soudain, c’est le tour de verrou : le discours change, au gré des interlocuteurs et interlocutrices, se rigidifie. La psychanalyse, agitée de courants, de contradictions, ne sert plus à penser, interroger, questionner, accompagner les mutations sociales, elle ne sert plus qu’à légiférer. Et l’on assiste alors, tassé au fond de son fauteuil, à la reproduction satisfaite et sentencieuse d’un discours prépensé qui pourrait malheureusement justifier les pires défiances vis-à-vis de la psychanalyse, et visant notamment la différence homme-femme, les homosexuels, l’inceste enfant-père, enfant-mère... Est cité, et non contesté par ces discours, Lacan : « Il n’y a pas à proprement parler, dirons-nous, de symbolisation du sexe de la femme comme tel » ou encore « Le sexe féminin a un caractère d’absence, de vide, de trou, qui fait qu’il se trouve être moins désirable que le sexe masculin ». Aucune répartie sensée, lorsque Sophie Robert évoque les représentations pariétales de vulves, à l’âge néolithique, pourtant bien éléments de « symbolisation du sexe de la femme »...
Pour compléter son instruction à charge, et livrer sans doute une sorte de clé permettant de comprendre son désir de mettre à mort une discipline entière, Sophie Robert glisse entre ces interviews thématiquement regroupées des bribes d’un dessin animé retraçant sans doute, avec une hargne non dissimulée, une ébauche assez catastrophique d’analyse personnelle dans laquelle l’analyste, tous seins avachis, est figurée comme ne s’intéressant réellement qu’au joli paquet de billets qui lui serait glissé à la fin de chaque séance...
On peut admettre le ressentiment consécutif à un tel échec. On peut admettre aussi certaines rigidités de la théorie et la nécessité de les revoir, de les assouplir, voire réformer totalement... Quelle science, même dite « pure », n’a pas eu ses erreurs ? Alors une science « humaine »...! Mais alors que certains des reproches formulés ne manquent sans doute pas de pertinence et pourraient ouvrir sur une évolution de la psychanalyse, Sophie Robert, sur un mode très inquisitorial, ne retient là qu’un motif de condamnation absolue. Sans compter l’inélégance de la démarche, certains des interviewés n’ayant même pas été avertis de la sortie du film, donc conviés à aucun visionnage d’avant-diffusion, d’où les nombreuses attaques et procès affrontés par la réalisatrice. Une réalisatrice qui ne laisse pas courir son enfant, puisqu’elle est presque systématiquement présente aux séances de projection de son film, intervient au début pour livrer toutes sortes de mises en garde et préambules, puis à la fin, épaulée par des interlocuteurs prédéfinis, qui ont même parfois mis par écrit ce qu’ils avaient à dire...
On regrette qu’une forme aussi verrouillée vienne pratiquement invalider un questionnement qui mériterait pourtant d’être ouvert.