Pour une photo

Ce film, c'est l'histoire de deux personnes qui devaient se trouver.

Au milieu de Mumbai, ils semblent venir d'ailleurs. Le cadre les enferme constamment, les fait ressortir d'une manière étrange : jamais nos deux héros n'ont l'air d'appartenir au paysage que l'on voit. Ils sont perdus dans une même ville, dans leurs propres univers.

Pourtant, un jour, au détour d'une photo, leurs univers vont soudain se rapprocher, et Mumbai ne sera plus si sauvage et inaccessible.

L'amour, d'abord discret, indicible, va devenir d'une telle puissance qu'il poussera les deux amants à se dépasser eux-mêmes, mais aussi leurs familles, leurs problèmes, la ville : la caméra. Oui, tout leur univers, la "vie intérieure de leur amour", est hors caméra : on est mis non seulement à une place de spectateur, mais en plus à une place de simple observateur extérieur. Ce qui se passe dans le cœur des deux amants (qui en plus ont une apparence assez froide au début) n'est visible qu'à partir de regards, de sourires, de rires soudains que nous voyons sans y prendre part. On comprend alors pourquoi la fameuse photo n'est jamais montrée : elle fait partie de leur univers, leur amour, et n'est donc pas visible.
On passe tout le film à assister à cette éclosion, non seulement de l'amour entre les deux personnages mais en plus des personnages eux-mêmes : ils grandissent, s'illuminent, s'expriment de plus en plus... en fait, ils deviennent eux-mêmes, ce qu'ils n'avaient jamais fait auparavant à force de penser aux autres.

Ce film me fait penser aux nombreux moments où j'ai vu deux de mes amis tomber amoureux l'un de l'autre sous mes yeux : on observe, on ne peut rien y faire, et c'est ça qui est beau.

Et à la fin ils s'échappent. Ils s'échappent de tout, de cette société trop carrée qui dicte quand est-ce qu'il faut se marier, de leurs familles avec lesquelles ils vivent et qui leur sont pourtant si éloignées, de leurs incertitudes.
À la fin, cet amour si subtil et incertain triomphe et leur permet enfin de faire ce qui paraît logique depuis le début du film : sortir du cadre (littéralement), pour mieux vivre ensemble.

D'habitude, je réfléchis avant d'écrire une critique. Mais là, je viens de voir le film et je me dois d'en parler ; car j'ai vu à travers ce film comme j'ai vu à travers un lac : un reflet troublé d'une partie de moi-même. Et ça, c'est unique ; c'est tellement unique que jamais je ne réussirais à filmer ou même à écrire ce sentiment qui m'anime, et si j'en faisais un film, vous ne seriez que les observateurs extérieurs d'un homme bouleversé arpentant les rues de Paris dans l'espoir de trouver son photographe. Et pourtant, j'ai l'arrogance de penser que ce sentiment mérite une critique... tout comme cette histoire d'amour méritait un film.

"On s'en va ?"