Dans ce paysage contaminé par l’aridité et la détresse sociales – ce même territoire déjà méticuleusement diagnostiqué par le néoréalisme italien – intervient l’extravagance truculente de Monicelli qui, au travers des irruptions nonsensiques qui parsèment le corps narratif, brode furtivement sa petite intrigue à propos d’inéluctabilité. Grâce à une délicate orchestration, l’idiotie des paroles semées et des actes posés désamorce les motifs tragiques qui jalonnent la progression dramatique. Virevoltant, le rythme articule de savoureuses mascarades pétaradantes; le réalisateur entaille les dehors géométriques des bâtisses résidentielles afin de s’y immiscer et d’y découvrir leur vérité sous-jacente, le désordre intérieur de la société. Ayant recours à divers ressorts scénaristiques où la badinerie prédomine, l’œuvre parachute sur un ton aérien une galerie de vérités acidulées. S’échafaude ainsi un constat sur la suffocation des inadaptés sociaux qui se butent aux écueils structurels que sont les normes, les obligations et les injustices. Face au monde orthonormé, les héros du Pigeon se révèlent déstructurés, menant une existence erratique dépourvue des clés nécessaires à la construction d’un avenir. Succulent exercice œuvrant dans le ridicule situationnel, Le Pigeon métamorphose imperceptiblement l’originel cambriolage en une révolte sociétale où l’émancipation de la classe dominée se matérialise à travers la démolition d’une cellule bourgeoise. Si l’échec est manifeste, les péripéties qui le constituent conduisent indirectement un procès à l’encontre du mode de vie bourgeois empli d’artificialité – cela passe par la ridiculisation de ses échanges superficiels et par la dégradation matérielle de son environnement. De cette équipée désarticulée qui présente d’atypiques portraits d’hommes désorientés s’inscrit la sensibilité de Monicelli qui, avec ses souples mouvements de caméra et sa photographie alternant sans cesse entre simplicité visuelle et pesanteur expressionniste, raconte l’insoupçonné goût du désœuvrement. La beauté envoûtante des déambulations nocturnes éconduira finalement les personnages vers la morne réalité, l’impossible concrétisation de leurs désirs. C’est alors le reflux de la foule qui les précipitera à cet endroit qu’ils tentèrent maintes fois d’éviter au cours du long métrage, déployant une infinité de manigances absurdes afin de s’y substituer : le prosaïque monde du travail, la fin du songe éveillé.