Plaisir non coupable dans une maison à laquelle t'es lié
Nouveau film à sketch de l'ami Max, mais sans qu'il ne s'agisse là de moments disparates. Trois nouvelles de Maupassant sont donc illustrées avec toute la grâce et le talent dont est capable Ophüls.
A l'image de la place prise par ces trois récits, c'est évidemment "la maison Tellier" qui constitue le cœur de ce film savoureux et splendide. Que l'on songe en effet au déroulé de cette histoire et ainsi qu'on se rende compte à quel point les nouvelles de l'ami Maupassant et sa mise en images au cours des années 50 pouvaient être osées !
Un petit bordel de province (enfin, une maison close, quoi. Un endroit où on trouve des femmes de compagnie... Dont la plupart, soi dit en passant, ont la bouteille on ne peut plus facile, à l'image de madame Rosa qui "ne s'arrête de boire que pour chanter, ne s'arrête de chanter que pour boire") ferme ses portes de manière impromptue et laisse ses clients désemparés un samedi soir.
Croyez-vous que ces derniers, à la rue, éprouvent un quelconque embarras ? Que nenni ! Ensemble, les voilà parti pour tailler une bavette (de dépit) au cours de laquelle ils trouveront mille et uns sujets à l'origine de vaines disputes. Les notables sont ainsi liés en une fraternité improbable dans laquelle ne transparait à aucun moment la gène de leur activité nocturne.
Et ou croyez-vous que ces dames sont parties ?
A la communion du cousin de madame Tellier, cousin dont elles vont envahir le village sans que cela ne soulève la moindre vague (oh, au fond, ce ne sont juste que les "dames de la ville") et assisteront à l'office dont elles constitueront le point d'orgue, montrant une émotion dont le curé sera fier.
Magnifique.
Ajoutez à cela un Jean Gabin saoul comme un cochon et draguant comme un enfant de coeur pataud, et vous aurez une idée du plaisir (tiens, nous y voilà) ressenti à la vision de ce petit moment inoubliable.
Un dernier mot sur le retour des belles à la maison Tellier. Pour prévenir un poissonnier qui a réussi, bref, presque un notable, qui mange en famille, un messager se précipite chez lui pour lui annoncer que "Les morues ont été livrées !". On jugera le niveau d'insolence de l'histoire, bien plus provoc et subversive que bien des auto-proclamés brûlots de nos temps mornes.
Mais, et certains d'entre vous ne se priveront pas de relever: tout ceci est bien beau mais exclusivement dû au talent de l'auteur de la nouvelle, n'est-il pas ? Et bien permettez-moi de réfuter une nouvelle fois cette légitime question: le traitement visuel est là encore sublime, et chaque plan est un plaisir (comme quoi y a pas de mystère) auquel chaque sens est convié: on voit, on sent, on touche, on goûte chaque moment charmant, poignant ou drôle, qui compose le récit.
Alors, comme Joséphine, héroïne de la troisième nouvelle, plongez dans ce moment de bonheur (et pas par une fenêtre), recevez ces vagues successives de plaisir et vous aurez ainsi la certitude de ne pas achever ce film en arborant un masque...fut-il d'ennui ou de cire.