Film purement hitchcockien, Le Plongeon est à classer dans cette catégorie de films inclassables, qui se racontent presque sans le vouloir. Des films qui paraissent anodins, d’une authentique banalité, pour finalement se révéler d’une profondeur presque insondable, et faire défiler devant nos yeux ébahis une myriade d’idées et de concepts mis en scène de la plus belle des façons.


Aucune indication, aucun mot « en trop » qui nous mâcherait le travail afin de comprendre le pourquoi du comment : la déduction est au centre de la trame narrative atypique du film. Ned Merrill, quarantenaire en excellente forme physique, prend un matin la décision loufoque de rentrer chez lui depuis la maison de ses amis « en nageant », c’est-à-dire en allant piquer une tête dans chacune des piscines qui se trouvent sur son chemin. Personnage versatile, incarné par ce splendide acteur que fut Burt Lancaster, colosse physique et monstre de sensibilité, Ned est un petit bourgeois à la vie apparemment bien rangée.


Mais son périple en apparence anodin va rapidement céder la place à la puissante et inexorable introspection d’une existence mélancolique et meurtrie. Le Plongeon se mue alors en une œuvre à la profondeur interprétative délectable, kaléidoscope coloré et subtilement pessimiste des gated communities américaines d’après-guerre. Critique diffuse de la société de consommation, lamentation passagère sur le temps qui passe et la vieillesse, méditation philosophique sur le sens de la vérité et le but du mensonge, Frank Perry danse sur une multitude de thématiques, sans jamais se perdre.


Cela grâce à l’adresse d’un excellent dialoguiste (chaque parole a son importance, une utilité) et l’audace d’un metteur en scène hors-pair. La variation incessante des prises de vue, ce goût pour les gros plans sur la face hâlée et percée de deux pupilles couleur ciel et mer de Lancaster, cette façon de césurer le film tout en le faisant traîner (sans qu’il paraisse long pour autant) : il y a ici tous les signes révélateurs d’un coup de maître.


Sombre rêverie aux accents cruellement ironiques, Le Plongeon semble a fortiori comme prêt à craquer de toute cette foule d’idées qui dénotent la créativité de son réalisateur. Cette remontée à contre-courant d’une rivière artificielle (symbole en négatif d’une nature totalement occultée, ce malgré son omniprésence tout au long du film), dont le personnage principal connaît nécessairement l’origine néfaste, apparaît pourtant lorsqu’on la visionne comme une œuvre maîtrisée, à la cohérence imparable.


Une immersion en apnée au cœur des vices de la bourgeoisie américaine de l’après-guerre, non pas à des fins de dynamitage, mais plutôt de monstration, méticuleuse et désenchantée. Fabuleuse mise en abyme d’un homme refusant de croire à un monde, à une existence dont il demeure toutefois irrémédiablement prisonnier et esclave. Le Plongeon est un chef-d’œuvre méconnu à découvrir sans tarder.

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le 27 nov. 2021

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