Hud Bannon (Paul Newman), cowboy qui roule en Cadillac rose, est un homme prisonnier de sa propre réputation. Il s'est pris au piège de l'image qu'il a façonné de lui-même : un prédateur égoïste et violent. Un véritable contre-exemple pour son neveu, Lonnie (Brandon de Wilde) qui l'admire néanmoins et le suit partout, et une douleur permanente pour un père taciturne (Melvyn Douglas) qu'il tente de secouer par ses sarcasmes et ses provocations. Ces trois générations d'hommes cohabitent sous le regard d'Alma (Patricia Neal), la gouvernante du ranch, une femme libre et usée par l'existence.
Le film est un bonheur à contempler : il y a un magnifique usage du format CinémaScope, qui met en valeur des paysages plats, désertiques, crépusculaires. La photographie du maître James Wong Howe est sublime : les scènes en extérieur (filmées au Texas) fascinent par la pureté du noir et blanc (qui n'a jamais aussi bien restitué les jeux d'ombres et de lumière en plein soleil). Martin Ritt joue beaucoup sur les panoramiques et les plans d'ensemble, ainsi que sur des mouvements de caméra discrets et très rares (on aurait voulu plus de plans serrés sur les visages, qui nous semblent parfois lointains et dissimulés...), mais qui servent admirablement la progression dramatique du récit.
La distribution est très inspirée ; les acteurs sont non seulement excellents mais complémentaires, ne serait-ce que par leurs voix : il y a celle, profonde et vibrante de Paul Newman, puis celle, grave et posée, de Melvyn Douglas, et enfin celle, râpeuse et accentuée, de Patricia Neal. Cette dernière livre une interprétation très riche et nuancée, et offre à Alma, la gouvernante aux pieds nus qu'elle incarne, une présence indéniable et une authenticité inattendue (à Hud qui souligne qu'il ne l'a jamais vue chaussée de souliers, elle répond : « J'en ai mis une fois. Pour mon mariage. En satin blanc. Mais je n'ai plus ni souliers ni mari. »).
Les quatre personnages vivent ensemble mais restent enfermés dans une solitude et une disparité insurmontables : Hud ne songe qu'à s'évader de la prison familiale ; Homer retient ses rancunes et ses souvenirs ; Alma est une figure indépendante et lucide, et Lonnie est préoccupé par son avenir et ses propres désirs. Le jeune homme cherche à trouver sa propre ligne de conduite, sa place entre un homme bardé de principes (son grand-père) et un homme qui n'en a pas (Hud). Ces quatre éléments tentent de s'accrocher par intermittence les uns aux autres, d'établir un rapport d'équilibre (avec succès parfois : il y a une séquence mémorable dans une salle de cinéma où Homer chante « My Darling Clementine » avec les autres spectateurs, avant d'accompagner sont petit-fils au Diner...il s'agit de moments de complicité sans sentimentalisme ni lourdeur). Mais la haine mutuelle que se vouent Hud et son père est plus forte que tout et influe sur la dynamique d'ensemble, sur les vies d'Alma et de Lonnie.
La scène d'explication entre le père et le fils est d'une violence rare et met en lumière les fondements de leurs rapports : Homer ne méprise pas Hud à cause de l'accident qui a coûté la vie à son autre fils, le père de Lonnie, mais à cause de sa nature même: « Tu n'as aucune valeur. Tu ne respectes rien. Tu ne réfrènes pas tes envies. Tu ne vis que pour toi et c'est malsain de vivre avec toi ». Il n'y a pas de réconciliation possible entre les deux hommes : Homer mourra entouré de sa famille, mais Hud n'aura aucune parole réconfortante, aucun remord. Toute vérité a déjà été dite.
« Hud » est un film brutal, sans complaisance, à l'image de cette scène où Homer assiste, impassible, à la mise à mort de son troupeau de bovins, touchés par la fièvre aphteuse. Il n'y a pas de rédemption possible pour Hud : il restera, jusqu'au bout, fidèle au personnage qu'il s'est construit.
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