Très jeune et déjà désabusé, Sinan promène sa figure de chevalier à la sombre figure dans les décors assez désolés et parfois renversants de beauté de Turquie, à la recherche d'un avenir incertain, hypothétique et flou... il vient de finir ses études d'enseignant dans la ville de Canakkale, anciennement Troie (Bonjour le magnifique cheval!), il aime écrire. (on ne peut s'empêcher de penser au poète de 7 ans de Rimbaud ..."très intelligent, et sous son front plein d'éminences....son âme livrée aux répugnances")...
Il revient, donc, son diplôme et ses interrogations en poche, au village natal, pour se donner le temps de la réflexion ... même avec un diplôme, l'assurance d'un emploi sécurisant n'est pas une évidence !...d'entrée, on comprend, avant même de l'avoir rencontrée, que la famille est modeste et livrée à de sérieux problèmes pécuniaires... on retient la phrase assassine d'un créancier de son père, affirmant que "sans argent une bonne vie n'est pas possible" ...c'est un des problèmes fondamentaux de la survie de l'être humain, évoqué ici ...
Le père, désillusionné, gaspille son modeste salaire d'enseignant au jeu, et se livre, en dehors de son activité d'instituteur, à une activité peu banale : le creusement d'un puits sans fond sur les terres misérables de son propre père, à la recherche d'eau... comme "un voyage au centre de la terre"(dira t'il avec humour), une métaphore intéressante qui va prendre tout son sens dans la scène finale... la mère essaye de compenser cette misère en faisant la nounou... Tout espoir d'un soutien de la part de sa famille est donc à exclure...
Installé dans une chambre assez inhospitalière du foyer familial, nous allons suivre Sinan, aux alentours, dans sa quête de sens à donner à sa vie. Décalé, solitaire, son degré élevé de conscience de la réalité, l'empêche de se soumettre à l'idée de suivre le troupeau et de se résigner à une vie précaire, mais il va se heurter à l'aimable hostilité de son environnement...
C'est un film extrêmement bavard, qui concentre des réflexions très intéressantes sur le contexte économique du pays, mais qu'on peut élargir à l'ensemble de la condition humaine, sur l'amour, la jalousie, le mariage, le sens de la vie, la religion et tant d'autres choses...réflexions tellement riches qu'il faudrait se faire plusieurs visions, avec prise de notes, pour maîtriser entièrement cette oeuvre magistrale de 3h !!! … personnellement je le ferai !
Pistes de réflexion mais aussi, émotions multiples dans quelques scènes particulièrement réussies :
- La rencontre avec une ancienne amie, magnifiquement rendue par une image au plus près de ressentis, dans un bruissement de feuilles qui frémissent comme nos sens et séquence tellement lente qu'on a le temps de s'interroger, en les écoutant, sur le sujet du couple, de la condition de la femme... un baiser flouté dans les feuilles, particulièrement beau et fugace... comme un tableau de Renoir.
- Les images subliminales de suicide, fortes, surprenantes et inattendues, corps parcouru par les fourmis, nous rappellent habilement qu'au final, tout cela vaut il vraiment la peine d'être vécu ?
Une belle satire du monde littéraire, un vrai moment de jubilation dans l'entretien de Sinan au langage vrai avec l'écrivain consensuel, mal à l'aise et fuyant au sens propre comme au figuré, face aux questions faussement candides de son interlocuteur.
- Et enfin, réussite parfaite est le fragment final, quand Sinan retrouve dans le plus grand dépouillement de décor et d'âmes, le vrai visage émouvant de son père, comme son propre lui-même devant le constat de sa vie passée, peut-être ...une révélation qui nous force à penser qu'il est impératif de se prémunir des jugements hâtifs !
Une conclusion remarquable de clarté : Faut il se pendre ou continuer à creuser (ce que vous voulez...bien sûr !) ???...le puits de vos activités....