« Le Poirier Sauvage » est un film qui prend le temps de la nuance en développant des scènes de dialogues assez fleuves sur de grands sujets nécessitant de ne pas être traités par-dessus la jambe ( à chacune des rencontres du personnage principal correspond des thèmes comme la religion, la création (littéraire), l’amour, la vie, la famille, … ).
L’originalité du métrage est que le personnage principal de Sinan que l’on suit durant tout le film est loin de nous être sympathique. Il se définit comme « écrivain misanthrope », ce qui le fait se sentir faussement supérieur à ceux qui l’entourent ( son père dont il semble avoir digéré le déclin de respectabilité, l’écrivain « populaire » dont il dénigre à demi-mot le succès basé sur des recettes parlant à un spectre plus large de personnes mais en s’oubliant en tant que personne, les imams qu’il pousse dans leurs retranchements et contradictions notamment sur la question de la liberté totale de l’individu qu’interdirait toute doctrine religieuse, un amour d’enfance inassouvi dont il se moque a posteriori, l’ex petit-ami de cette dernière dont il s’amuse de la séparation, sa mère et l’amour inconditionnel qu’elle porte à son mari malgré ses défauts, … ).
La critique serait trop longue et laisserait peu de surprises si j’évoquais tous les thèmes et ramifications de ces derniers. Je peux parler de celui omniprésent de la recherche d’identité ( que présente-t-on de soi aux autres ? demande Sinan à l’auteur populaire ). Est-ce que se présenter dans sa vérité intéresse les autres ? si l’on prend en compte le roman semi autobiographique de Sinan. Il y a bien sûr le rapport au père qui est prégnant. De cela ressort un autre processus dans la narration qui est celui de la redéfinition constante des personnages qui ne restent jamais dans une caricature et dont la représentation que les autres se font d’eux évoluent. C’est une des forces du film. Sinan veut que son livre suscite une réaction. N’importe laquelle ( Polémique ? Succès ? Critiques négatives ?... ) mais une réaction. D’où le thème de la reconnaissance des autres qui semble important. En effet, Sinan a longtemps été considéré comme anormal, fou, spécial, différent par les autres. C’est en s’enfermant dans ce refus de la généralisation qu’il a développé les défauts qui sont les siens. Mais il se rend compte qu’il ne peut tirer que peu de choses de cette attitude auto-centrée et qu’il doit s’inclure dans un collectif ( une des leçons de son père ).
Un mot rapide sur les paysages magnifiés et la Nature mise en avant ( l’usage des plans séquences permet au film de ne pas être poseur ). Ces derniers apportent de la vie et du mouvement aux corps des personnages. Ils sont immuables. Il y a aussi de façon discrète le passage d’animaux qui ont leur rôle à jouer dans le destin et le caractère des personnages.
Pour dire de terminer cette critique forcément incomplète, le film mérite que l’on s’y penche, notamment du fait qu’il possède un rythme qui fait du bien dans la frénésie du cinéma standard actuel. Ce tempo est parfaitement adapté aux propos exigeants mais non pédants ( le passage sur la religion est sûrement celui qui demande le plus d’attention ). Il demande donc que l’on prenne son temps et que l’on soit dans une bonne disposition de l’esprit.