L'Allemagne déleste
Il y a en fait deux films dans ce Pont des Espions, et le plus réussi des deux n'est pas celui auquel on pourrait penser. La première partie est, de fait, bien mieux qu'une simple mise en place...
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le 9 févr. 2016
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Peut-on se déclarer cinéphile sans vénérer Spielberg? la question est envisageable. C'est sans conteste un formidable entertainer qui sait fabriquer des histoires plaisantes et efficaces, et qui possède le don de toucher la frange la plus exigeante comme celle plus grand public des spectateurs. Son meilleur atout? allier la maîtrise de la réalisation pour allier petite et Grande Histoire. Ainsi son talent de conteur hors-pair peut-il s'ajuster au désir d'un cinéma mainstream qui ferait passer la convention la plus forte pour un grand auteur visionnaire et humaniste. Cela peut donner de franches réussites comme "Minority Report ou "Munich" (la vue de "La Liste de Schindler" ou de "La Couleur Pourpre" se fait toujours attendre) mais la tendance est malheureusement plus au formatage. "La Guerre des Mondes", "Il faut sauver le soldat Ryan (dans une moindre mesure, il est vrai) ou "Le Terminal" en attestent. Concilier l'efficience du spectacle à la rigueur des faits décrits demande une volonté de métronome que l'américain ne s'acharne pas à acquérir. Il prend prétexte des Grandes causes politiques de L'Amérique régalienne pour mieux instituer un souffle épique, quitte à endoctriner les personnes tout à leur joie de s’abîmer dans le plaisir d'un récit séduisant.
Son dernier "Pont des Espions" ne déroge une nouvelle fois pas à la règle. Tout le parcours de Tom Hanks cet avocat des affaires à l'existence tranquille est voué à un triomphe des valeurs morales états-uniennes. Bon père de famille, mari fidèle et homme du peuple il s'escrime à légitimer la défense de ce présupposé espion soviétique. Sa rhétorique et son bon sens vont à l'encontre d'une opinion publique véhémente au droit judiciaire, en pleine Guerre Froide. Ce qui paraissait au départ comme une vraie légitimation à une noblesse de l'équité pénale, théorisé brillamment par un discours sur la Constitution US comme garant indéfectible sur le droit du sol, ne sert finalement qu'à glorifier un peu plus le patriote sauveur du monde bipolaire tel qu'il était constitué à l'époque. Les négociations tripartite entre Etats-Unis, Berlin-Est occupée par L'URSS et Berlin-Ouest laissée à l’abandon (ou possiblement l'inverse la mémoire me jouant des tours) n'existent que pour prouver la Raison supérieure des officiels US et plus encore l’héroïsme du simple citoyen lambda.
L'équilibre qui tenait l’intérêt du film une large partie sur la réhabilitation de L'Homme de L'Est comme l'égal et valeureux soldat prêt à défendre sa nation coûte que coûte comme n'importe quel soldat atlantique se brise nettement au moment de l'échange d'espions. Il se fissurait déjà lorsque d'un cote le premier était traité (à peu près) correctement en prison tandis que l'autre était torturé mentalement et psychologiquement dans les geôles soviétiques. Une vision manichéenne qui se confirme donc avec l'avocat droit dans ses bottes et le regard plein d'empathie pour son accusé lors de sa libération définitive (l'homme debout lui répète sans cesse le libéré, qui plie mais ne rompt jamais). Le retour confirme définitivement cette sensation de manipulation éhontée, on y voit un Tom Hanks regardant par la fenêtre du train des enfants enjambant un mur et se souvenant avec effroi que le même geste entraînait la mort brutale en Allemagne. Le saut libérateur de la liberté comme contrepoint au saut dévastateur de ceux qui voulurent passer le Mur, le parallèle est au mieux maladroit au pire nauséabond. Et les retrouvailles finales du nouveau fiancé de L'Amérique ne valent guère mieux. Reste un traitement de la filature et des résonances actuelles sur la stratégie géopolitique d'alors que la mise en scène rend bien la tension nerveuse. Encore et toujours l'art et la manière d'une propagande qui ne dit pas son nom.
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Créée
le 15 déc. 2015
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