Howard Hawks avait parié avec Hemingway qu'il réussirait à faire un film avec ce qu'Hemingway appelait lui même son pire roman. Un autre terme du pari consistait à garder le titre à la con « To have and have not », traduit dans le même style en français par L'Abri côtier de la Peur ou quelque chose comme ça. Le scénario avait ensuite été confié, dixit Pierre Amo, à un type à l'allure de SDF nommé William Faulkner.
La façon de traiter le scénario est une variante de celle dont sera traité le Grand Sommeil.
Hawks On m'a demandé qui a tué untel ou untel, je ne le savais pas, on a envoyé un câble à l'auteur, il ne le savait pas non plus, puis au scénariste qui ne le savait pas non plus.
Hawks déclarait pareillement pour le Port de l'angoisse: « Le scénariste disait : « il y a déjà quatre bobines de tournées et vous n'avez pas encore eu le courage de raconter l'histoire. Quand tournerez-vous ces scènes ? » Je lui répondis : « Je crois que si je les évite, c'est parce qu'elles sont ennuyeuses. ». Mais viendra néanmoins le moment où il faudra en raconter une, d'histoire. Tant qu'à faire, autant s'éloigner sans regret de l'histoire du roman qui est celle d'un marin pêcheur faisant du trafic de rhum pour arrondir ses fins de mois, et faire du marin un homme désintéressé qui aide les résistants français malgré le danger de la police de Vichy.
Il fallait donc construire une histoire en repartant de quasiment rien mais il n'y a pas de recette pour faire un film, c'est l'un des mystères de la magie du cinéma. Une adaptation fidèle d'un grand roman peut faire un flop alors que parfois un pari fait autour d'une bouteille peut donner un film qui finit par accéder au statut de « film culte ».
Hawks a eu la chance de choisir une débutante, un mannequin de 19 ans à la voix grave qui, bien que jouant avec sobriété, a une présence certaine à l'écran à cause de son regard (Lauren Bacall parfois surnommée The Look).
Et pour interpréter le capitaine du bateau il a pris un de ses potes qui ressemble à monsieur tout le monde mais qui dégage à l'écran une impression d'intégrité et de force tranquille (Humphrey Bogart parfois surnommé Bogey).
Ensuite il faut reconnaître que Hawks a mis toute l'application possible pour se donner des chances de gagner le fameux pari. Il a recopié avec beaucoup de soin une partie de l'intrigue, l'arrière-plan historique et l'atmosphère du plus grand succès de l'époque Casablanca. La principale différence est que, à l'inverse de Casablanca, les personnages ne songent guère au passé et ne redoutent pas le futur, mais vivent au présent leur histoire d'amour. Le pianiste et compositeur de jazz Hoagy Carmichael (Cricket dans le film) a été recruté judicieusement pour de superbes chansons. Et Hawks a situé le décor dans un endroit paradisiaque, la Martinique. Le film baigne dans de beaux cadres centrés sur le couple star auquel Hawks a réservé le meilleur de ses éclairages et de ses dialogues ironiques où la mise en boite mutuelle remplace les mots d'amour, au point de faire avec le temps de l'homme à la casquette de marin et de la professeur de sifflet de véritables icônes du cinéma. Il y aura hélas par la suite un nouvel opus pour continuer avec le succès du couple star nommé le Grand Sommeil.
Le plus remarquable dans le film est la façon dont Hawks a réussi à transformer un livre aussi peu intéressant. Mais le film ne raconte pas vraiment une histoire. Il se contente de montrer dans les chaumières des scènes avec des stars, un procédé qui s'est révélé gagnant.