Sur les terres bien balisées du film noir, Pickup on South Street ajoute quelques modulations intéressantes. C’est d’abord l’élément narratif de l’espionnage, qui va transiter dans une intrigue autour de microfilms qu’il faut éviter de voir finir dans les mains des communistes, ennemis invisibles, mais force à craindre. On retrouve donc les ressorts chers à bien des films d’Hitchcock, mais avec un regard sur les personnages un peu moins binaire, plus complexe.
Le personnage principal, campé par un Widmark décidément bien plus à l’aise lorsqu’il s’agit d’être une ordure, a cette posture originale d’être au carrefour des enjeux : à la fois intéressé, mais sans être du côté de l’antagoniste, il jongle sans cesse entre vénalité et aide de son prochain, désir amoureux et manipulation. D’une certaine manière, il endosse le rôle traditionnellement dévolu à la femme fatale, tandis que sa compagne lui voue un amour plus sincère et va fatalement en payer le prix.
Sur ce canevas, l’interaction entre l’esthétique du film noir et l’intrigue fonctionne bien. C’est notamment un décor central, une cabane sur pilotis dans le port, saturé de lignes fortes (cordages, poutrelles, embrasures) qui permettent un jeu de lumière expressionniste à souhait, avec des noirs très marqués desquels émergent subitement des silhouettes inattendues. Cette façon de souvent mettre au premier plan un crochet ou une corde, de jouer sur les espaces (grâce à une autre belle scène où le tueur se cache dans un monte-charge, toute en plongées et contre-plongées) rend la tonalité plus incisive et le récit mieux rythmé. La violence est plus marquée, l’amour plus sadique (même s’il se termine par un moral end assez tristement conventionnel), et la variété des sentiments plus variée qu’à l’accoutumée, notamment grâce au personnage de Moe, une vieille femme qui fait évoluer les thématiques vers la fuite du temps et la solitude.
Une dernière question peut néanmoins tarauder le cinéphile français : quid de la drogue éponyme ? Rien. En réalité, si. Pickup on South Street appartient à cette catégorie de films trahis par leur version française, comme c’est le aussi cas par exemple avec L’Homme des Hautes Plaines de Clint Eastwood. En 1953, il n’est pas forcément de bon ton de présenter le communisme comme l’ennemi dans l’hexagone. La version française a donc modifié un certain nombre de répliques, transformant les rouges en narcotrafiquants et le micro film en recette d’une nouvelle poudreuse. D’où le titre français, qui aura du sens pour qui n’est pas un inconditionnel de la VO… Étonnant, non ?
(6.5/10)