Pickpocket et communistes sur fond d'espionnage

Tout d'abord, il faut préciser un truc important : contrairement à ce que le titre français peut laisser croire, le film n'a rien à voir avec la drogue, c'est encore un titre français complètement grotesque et trompeur, car c'est dans sa VF que l'on parle d'un trafic de drogue. Le titre original Pick up on South Street se traduit par "Vol à la tire sur South Street", il est plus significatif puisque le personnage de Skip McCoy joué par Widmark est un pickpocket qui a fait du métro newyorkais son terrain favori, et qu'il se retrouve un jour en possession d'un microfilm qui va être activement recherché, le film est donc bien centré sur l'espionnage. Pour des raisons politico-commerciales, les distributeurs français avaient jugé préférable de supprimer tout ce qui était relatif aux agents communistes et de remplacer l'argument par un trafic de drogue, d'où ce titre français ridicule pour qui voit le film en VOST.
De toute façon, Sam Fuller ne fait pas une oeuvre de propagande, car il manifeste la même antipathie pour les agents communistes et pour les flics qui les recherchent ; il est beaucoup plus intéressé par les relations qui se tissent entre la poule d'un ancien espion communiste, son voleur et une vieille marchande de cravate qui arrondit ses fins de mois en étant indicatrice. Les contradictions politiques de Fuller apparaissent ici même si son film est ouvertement anti-communiste, mais les personnages sympathiques ne sont pas du tout représentatifs d'une Amérique respectable (un pickpocket, une fille légère et une indicatrice), ils ne tireront d'ailleurs aucun avantage à défendre leur pays.
Fuller retrouve la grande atmosphère du film noir cher à la décennie précédente, avec notamment son style visuel caractérisé par un noir & blanc très contrasté et par des décors très réalistes (le métro, le quai, le repaire de Skip, la demeure sordide de l'indicatrice), sans compter la fulgurance des scènes d'amour où chacun se frappe, se gifle, se caresse ou s'assomme... cette brutalité est la marque d'un mariage étonnant entre violence et tendresse. L'interprétation est remarquable, Widmark est bon où qu'il soit, il peut sauver n'importe quel navet, mais ici, c'est loin d'en être un et Jean Peters, actrice plutôt spécialisée dans les rôles exotiques, se révèle excellente dans le registre du film noir.

Créée

le 21 mars 2017

Critique lue 680 fois

21 j'aime

9 commentaires

Ugly

Écrit par

Critique lue 680 fois

21
9

D'autres avis sur Le Port de la drogue

Le Port de la drogue
guyness
8

Détournement de fond

On devrait imaginer une nouvelle catégorie de délits. Après le civil, le pénal, le criminel, on devrait pouvoir caractériser le crime artistique, réservé aux producteurs, traducteurs, scénaristes, et...

le 25 oct. 2012

26 j'aime

6

Le Port de la drogue
Sergent_Pepper
7

Excuse my french

Sur les terres bien balisées du film noir, Pickup on South Street ajoute quelques modulations intéressantes. C’est d’abord l’élément narratif de l’espionnage, qui va transiter dans une intrigue...

le 15 nov. 2018

23 j'aime

6

Le Port de la drogue
Ugly
8

Pickpocket et communistes sur fond d'espionnage

Tout d'abord, il faut préciser un truc important : contrairement à ce que le titre français peut laisser croire, le film n'a rien à voir avec la drogue, c'est encore un titre français complètement...

Par

le 21 mars 2017

21 j'aime

9

Du même critique

Il était une fois dans l'Ouest
Ugly
10

Le western opéra

Les premiers westerns de Sergio Leone furent accueillis avec dédain par la critique, qualifiés de "spaghetti" par les Américains, et le pire c'est qu'ils se révélèrent des triomphes commerciaux...

Par

le 6 avr. 2018

123 j'aime

98

Le Bon, la Brute et le Truand
Ugly
10

"Quand on tire, on raconte pas sa vie"

Grand fan de westerns, j'aime autant le western US et le western spaghetti de Sergio Leone surtout, et celui-ci me tient particulièrement à coeur. Dernier opus de la trilogie des "dollars", c'est...

Par

le 10 juin 2016

98 j'aime

59

Gladiator
Ugly
9

La Rome antique ressuscitée avec brio

On croyait le péplum enterré et désuet, voici l'éblouissante preuve du contraire avec un Ridley Scott inspiré qui renouvelle un genre ayant eu de beaux jours à Hollywood dans le passé. Il utilise les...

Par

le 5 déc. 2016

95 j'aime

45