Le Portrait de Jennie rejoint les grands films abordant le thème passionnant de l’amour fou et Dieterle s’inscrit parfaitement dans la lignée des Borzage, Hathaway, etc.
Ici il s’agit de l’amour entre Eben (Joseph Cotten) un peintre fauché, sans reconnaissance, sans passion pour ce qu’il peint, et une jeune fille, Jennie (Jennifer Jones), qu’il croise un jour dans Central Park.
L’amour fou est un des sujets les plus cinématographiques qui soit. Essentiellement car l’essence de ce sentiment réside dans la manière de transcender, de perforer le réel. D’aller au-delà de la simple notion de cadre. D’aller au-delà d’un cadre toujours trop petit, étroit, pour contenir la puissance de ce qui se joue. Il n’y a plus de bordure, on traverse le temps et l’espace sans aucune limite. Plus rien ne compte, juste la force d’un sentiment qui relie deux personnes.
L’amour fou entre Eben et Jennie est fantastique, absolu. La beauté et l’intensité de ce sentiment font que l’on est prêt à tout accepter sur le plan cinématographique. Il stimule la notion de croyance et une forme de foi qui efface toute rationalité.
Dans le film de Dieterle, cet amour fou fait tomber à la fois la frontière entre la vie et la mort, entre deux époques, entre deux âges.
Lors de la première rencontre dans le parc, Jennie est une jeune fille. Etrange, habillée d’une autre époque. Eben est intrigué, fasciné. Elle lui demande de l’attendre, d’attendre qu’elle soit en âge pour l’épouser.
A chaque nouvelle rencontre Jennie vieillit toujours un peu plus. Quelques heures pour Eben deviennent quelques années pour Jennie. Tout ça est impossible. Mais Eben y croit. Il n’est jamais dans la réflexion, il se contente de vivre intensément chaque nouvelle rencontre. Cet amour qui va naitre entre eux va se répercuter sur son art. Elle devient sa muse, la lumière qui lui manquait jusqu’à présent pour transmettre sa passion à travers ses peintures. Il veut la peindre, et chaque nouvelle rencontre mène à la réalisation de ce portrait comme concrétisation totale de cet amour.
Si le personnage de Jennie se dévoile un peu plus au fil des rencontres, ses contours restent imprécis, fantomatiques elle apparaît et disparaît du cadre, plus ou moins brutalement. Ce fantôme obsédant contamine la vie du peintre mais aussi tout l’espace qui l’entoure. Le cadre mute lorsqu’elle y évolue. New York adoucit ses traits, l’atmosphère devient cotonneuse et vaporeuse.
Sans en dévoiler le contenu, la fin du film, bouleversante dernière rencontre, est un des plus beaux témoignages de l’amour fou au cinéma. Ce pic ultime, cette apogée au sein de leur amour devient également un point de rupture. Cette séquence annonce étonnement le Vertigo d’Hitchcock à travers deux procédés de mise en scène. Le vertige engendré par l’escalier en colimaçon du phare et l’utilisation de la couleur verte. Ce sommet entre les deux amants, tentant d’abolir la frontière entre la vie et la mort, engendre une explosion du noir et blanc. Il n’y a plus de noir, plus de blanc, le cadre se nimbe d’un voile vert qui englobe les deux personnages et le décor. Le même vert vénéneux et troublant qui bouscule le plan lorsque Kim Novak revient à la vie sous les yeux de James Stewart.
Dès lors, le cadre ne retrouvera plus son contraste initial. Il est perturbé pour toujours. Devenant rouge passion puis bleu mélancolie. Et pour finir par saisir dans un technicolor flamboyant le portrait de Jennie. Cette explosion finale de couleurs traduisant de la plus belle des manières cette impossibilité de contenir dans un cadre figé (celui du portrait et celui du film en noir et blanc) cet amour infini mais également l’art d’Eben. Sa peinture n’est plus un aplat mort, elle vit et continuera à vivre pour toujours.

Teklow13
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le 15 avr. 2018

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