En choisissant de raconter, dans Le Président, la campagne de Georges Frêche aux élections régionales de 2010, le documentariste Yves Jeuland dépeint la politique française dans tous ses travers : une histoire d’animaux politiques, de discours qui priment sur les idées et de démagogie.
L’image restera. Un président de région, montagne voûtée par l’âge et sa hanche qui le trahit, en pyjama long, mangeant un yaourt chez lui. Une scène de petit déj’ dans un documentaire politique. En posant, en 2010, sa caméra à Montpellier, à l’occasion des élections régionales dans le Languedoc-Roussillon, Yves Jeuland choisit de filmer Georges Frêche (1938-2010) partout, tout le temps. Entouré de ses ouailles à son domicile. Poussant (mal) la chansonnette dans sa voiture de fonction. Avouant mentir sans vergogne dans ses meetings pour faire pleurer dans les chaumières. La caméra n’a, semble-t-il, pas raté une miette des coulisses de la campagne.
Il faut dire aussi qu’en 2010, Georges Frêche est un homme qui, après plus de trente-cinq ans de carrière dans sa région, n’a plus peur de grand-monde. Ce qui en fait un très bon client. « J’ai fait trente campagnes. J’en ai fait trois intelligentes, j’ai perdu les trois. Et j’en ai fait vingt-sept rigolotes, en racontant des blagues de cul… Je les ai toutes gagnées », lance par exemple celui qui fut maire de Montpellier (1977-2004) à Jean-Pierre Elkabbach, juste avant une interview. Un Président (de région) ne devrait pas dire ça... Mais c’est ça, le style Frêche. Un véritable réservoir à punchlines. Un personnage de cinéma, en somme, dont l'immense corps en mouvement raconte parfois plus que ses mots. "Frêche, c'est Depardieu", dira Yves Jeuland.
Renvoyé du Parti Socialiste pour ses propos injurieux sur les harkis puis l’Equipe de France, l’enfant terrible de Montpellier est un animal politique, conscient de sa puissance en son fief, sûr ou presque de sa victoire. Il peut se permettre d’afficher sa volonté d’ériger une statue de Lénine et Mao dans sa future « place des Grands Hommes » en pleine campagne. Ce n’est donc pas un documentariste qui va l’effrayer.
Alors Yves Jeuland a carte blanche pour filmer cette hallucinante campagne qui prend une ampleur nationale, lorsque Martine Aubry et Georges Frêche s’écharpent par médias interposés. Surtout, Le Président décortique le système Frêche, les racines de sa popularité : un « sans-filtre » ponctué de dérapages assumés, un multi-discours pour flatter les électorats cibles (voire l’excellente scène de meeting auprès des anciens d’Algérie). Et surtout, la fin des idées. Frêche, de gauche ? Socialiste ? Qui s’en soucie ? Son nom suffit à lui octroyer 65 % des voix au second tour. Jeuland esquisse, avec la figure de Frêche, une réalité qui fait bien plus qu’une simple histoire d’élection en Languedoc-Roussillon.
Critique initialement publiée sur Arrête ton Cinéma, dans le cadre du Festival Politikos 2018.