Dès les premières scènes du métrage, la révolution ne se fait pas attendre. Nous visitons de nuit, la ville Lumière d’un pays inconnu, aux frontières inconnues où son dictateur n’a pas de nom, où il est tout simplement le Président. L’anonymat est le parti pris par le réalisateur pour faire surgir l’universalité de cette situation politique, insurrectionnelle et humaine : tous les personnages du film sont mûs par l’instinct de survie dans un environnement désenchanté, quelque soit le statut qu’ils occupent : des réfugiés politiques, aux soldats rebelles, des citoyens en fuite, en passant par la famille présidentielle. Les premiers plans sont aveuglants de lumière, on baigne littéralement dans cette ville qui ne dort pas. La voix inlassable de l’animateur radio vantant les lumières de sa ville et du bienfaiteur monsieur le Président nous accompagne jusqu’à la plus haute tour. Celle présidentielle, d’où le Président intime des ordres d’extinction desdites lumières (pour amuser son petit-fils) et pour lui démontrer l’étendu de son pouvoir, pouvoir qu’il possédera un jour entre ses mains. Jusqu’au moment où les ordres s’évanouissent dans la nuit profonde de la ville. Retentissent seulement les explosions et flamboient le feu de la Révolution. Le signal est donné. La famille présidentielle se doit de quitter le pays; seul le Président par fierté ou par habitude ne désemplit pas, suivit de son petit-fils, miniature vestimentaire de son grand-père. Nous sommes alors invités à plonger dans la traversée du désert de ce dictateur implacable. Traversée où confronté à la misère et les réalités de son pays, il sera aussi frappé par le jugement – juste – que fait son peuple de lui.
Cette traversée désertique au sens symbolique mais aussi réaliste, ne cesse de nous montrer plusieurs points de vue sans jamais vraiment quitter les yeux du petit-fils. Spectateurs, nous sommes tout d’abord confrontés à ce sentiment de justice rendu pour le peuple, qui enfin prend sa revanche et sonne le glas du Printemps révolutionnaire; tantôt (par la présence du petit-fils) voilà notre coeur serré d’espoir pour la survie de ce dernier. Makhmalbaf nous tiraille et torture notre vison manichéenne. Nous vacillons entre l’identité du dictateur et celui du grand-père; ce tiraillement est d’autant plus renforcé par le double anonymat de ce dernier : un dictateur sans nom, dans un Etat non identifié, auquel on ne peut rattacher des horreurs réelles, tangibles; et ce dictateur devenant au fur et à mesure de la traque par les soldats, un grand-père, un vagabond musicien, un réfugié politique etc. Et malgré la dureté du sujet, de la confrontation et de ce vacillement que parvient à soulever le réalisateur, on ne peut s’empêcher de s’attendrir durant leur fuite, de l’amour de son grand-père pour son petit-fils, des liens qui les unissent, du rôle de substitution de père pour ce dernier. Il y a de la poésie dans ces plans longs et (lents) de silence, où la musique nous entraîne dans le doute de la réussite de leur mission,; il y a une certaine douceur (spécifique aux contes de notre enfance) où le petit-fils croyant à un vaste jeu de rôle ne parvient plus à s’amuser de tout ça et se borne à sa vision juvénile de la situation… Petit à petit, on attend ce moment où le dictateur va éprouver des remords pour le mal qui l’a perpétré depuis toujours : on le sent faiblir, on ressent le cri de la vérité aux bords de ses lèvres à mesure que la mission d’escapade est sur le point de se terminer… Et pourtant déterminer, il ne se livre pas. Mais nous spectateurs, dans la confidence, on le ressent et on l’arrache petit à petit à sa prison de monstre sans once d’humanité. Pourtant, au fur et à mesure des rencontres vers leur El Dorado, des gens meurtris par la perte d’un être cher, mués par la désolation et le désir de vengeance, viennent chamboulés la vision humaine de ce grand-père-dictateur… Ainsi notre réalisateur tortionnaire jusqu’à la fin, ne nous laisse aucun répit.
Justement, la fin du Président est l’une des rares à m’avoir non pas subjuguée, mais fait réfléchir aux plus profonds de mes entrailles. Très demandeuse de fin (de films et romans) juste et complète, je n’aurai pas pu attendre mieux de Mohsen Makhmalbaf : la fin d’un conte nous faisons passer de la tension, au doute, à la remise en question de notre propre jugement, à une leçon. Une poétique leçon.