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Cinquième long métrage de Christopher Nolan, revenons sur Le Prestige à l’occasion de la sortie prochaine de Tenet. Parfois injustement oublié du grand public de par son caractère minimaliste, ce film sur la prestidigitation est pourtant le plus Nolanien des Nolan.
Adaptation du roman de Christopher Priest, Le Prestige raconte l’histoire de Freddie Borden (le retour de Christian Bale) et Robert Angier (Hugh Jackman), deux prestidigitateurs de l’époque victorienne et anciennement collègue qui finiront par se faire une guerre acharnée pour savoir lequel des deux est le meilleur magicien. Entre rancœur, manipulation et bien plus encore, ils n’hésiteront pas chacun à se salir les mains pour l’amour de leur art…
Le Prestige, la magie du cinéma
Chaque tour de magie comporte trois parties, ou actes. Le premier
s’appelle la promesse : le magicien vous présente quelque chose
d’ordinaire. Le deuxième acte s’appelle le tour : le magicien utilise
cette chose ordinaire pour lui faire accomplir quelque chose
d’extraordinaire. Mais vous ne pouvez vous résoudre à applaudir, parce
que faire disparaître quelque chose est insuffisant, encore vous
faut-il le faire revenir. Alors vous cherchez le secret mais vous ne
le trouvez pas parce que, bien entendu, vous ne regardez pas
attentivement. Vous n’avez pas vraiment envie de savoir… Vous avez
envie d’être dupé.
Cutter, Le Prestige 2006
Avec cette magnifique épanadiplose énoncée par le personnage de Michael Caine (nouvel acteur fétiche jouant dans tous ses films depuis Batman Begins); le cinéaste annonce toute l’intention de son histoire : nous duper. Mais plus que cela, quand Nolan parle de magie, il parle avant tout de cinéma. Qu’est-ce qu’est le 7ème art si ce n’est le fruit d’un artiste qui dirige notre regard pour nous faire croire à des merveilles ?
Les trois actes de magie énoncés font écho aux trois actes qui structurent tout récit de cinéma : L’exposition, Le développement et le dénouement. Le terme de pacte réfère aussi au début d’un livre (le côté meta étant donc déjà présent dans la version papier) dans lequel le spectateur accepte de se plonger et de croire tout écrit. L’équivalent dans cinématographique est la suspension d’incrédulité : nous savons que ce que ce que nous voyons est faux mais nous acceptons de croire et de nous investir dans le récit, nous acceptons d’être dupés. Et Nolan le fait avec brio car comme à son habitude, il nous manipule.
Quoi de mieux qu’une histoire sur des manipulateurs pour manipuler le spectateur. Tel un magicien, le réalisateur/scénariste dirige notre vision et détourne notre attention pour multiplier une fois encore les retournements ingénieusement installés et révélés. Pour cela, Christopher Nolan adapte les différents points de vue épistolaires du roman en une narration éclatée en trois timelines parfaitement maîtrisées. L’alternance de focalisation et de temps du récit Nolanien atteint alors son paroxysme dans son cinéma tellement elle n’aura été si complexe tout autant que compréhensible (et cela en prenant compte des œuvres suivantes).
Une projection du cinéaste
Le réalisateur se projette alors dans ses personnages, tous deux incarnés avec conviction par les têtes d’affiche, s’appropriant totalement les codes de la magie pour évoquer son affinité avec le cinéma. Borden “se dédie totalement à son art”, prêt à tous les sacrifices. Il doit alors “toujours renouveler ses tours et s’inventer”. Un cri d’alerte équivoque du cinéaste envers un Hollywood se formatant petit à petit. Angier, lui, a la volonté de faire évader le spectateur par tous les moyens, cela s’annonçant comme une note d’intention de Nolan qui renouvellera l’industrie du blockbuster par la suite.
Le Les spectateurs connaissent la vérité. Le monde est simple,
misérable, si figé d’un bout à l’autre. Mais si vous pouvez les duper,
ne serait-ce qu’une seconde, vous les faites rêver, et alors vous
découvrez quelque chose de très spécial. Vous ne voyez vraiment pas ?
C’est cette lueur dans leurs yeux.
Robert Angier, Le Prestige 2006
La confrontation Borden/Angier évite alors malicieusement tout manichéisme, les deux étant suffisamment bien écrits pour nous attacher à leurs motivations mais aussi totalement les condamner, créant une dualité dramaturgique fascinante et puissante. Nous ne pouvons véritablement prendre parti dans cette guerre où tous les coups sont permis. Cependant cela n’est pas le cas du cinéaste qui semble être plus proche du personnage de Christian Bale, de par un parallèle supplémentaire entre la magie et le cinéma.
Les deux magiciens auront leur propre truquage pour réaliser le fameux tour de magie de “l’homme transporté”. Là où Borden utilise un effet tangible, Angier utilise une machine “fantastique” tout à fait condamnable d’après la morale du film. Une condamnation qui n’est pas sans rappeler le point de vue de Nolan sur les effets spéciaux numériques irréels; lui qui ne jure et ne jurera que par les effets spéciaux pratiques, de par son obsession pour le réalisme.
Une histoire de famille
La représentation du cinéaste dans le personnage de Borden se retrouve aussi dans le twist qui l’entoure. ATTENTION SPOILER : Ce magicien effectue en réalité ses tours grâce à son frère jumeau qui se cache sous les traits maquillés de Fallon. Une collaboration artistique fraternelle qui fait écho à son frère scénariste Jonathan Nolan, avec qui il travaille sur quasiment tous ses projets. FIN DE SPOILER.
Une thématique de l’amour familial qui se retrouveront dans la suite de sa filmographie mais qui s’incarne aussi ici par le motif de la femme perdue. La motivation première d’Angier reste la vengeance de la mort de sa femme causé par Borden en début de film, tandis que l’obsession et la névrose de ce dernier amènera lui aussi à perdre la sienne. Ce qui n’est pas sans rappeler Memento… Un leitmotiv plus qu’évident lorsque l’on sait que Christopher Nolan est en couple avec Emma Thomas, depuis leur rencontre à l’université en 1995. Épouse mais aussi collègue de travail puisqu’elle est productrice de tous ses films.
La réalisation de Christopher Nolan, souvent assez terre à terre, profite du cadre Victorien et du monde de la prestidigitation pour prendre son envol dans des compositions esthétiques et gothiques réjouissantes. La photographie de Wally Pfister, son chef opérateur depuis Memento, se permet beaucoup plus de virtuosité pour véritablement imprimer la rétine. Une fidélité dans ses collaborateurs qui constituera « sa famille de cinéma ».
En conclusion, Le Prestige est un véritable tour de magie qui dupera le spectateur tout en ayant un incroyable nombre de niveaux de lecture. Il est une véritable lettre d’amour pour le cinéma de la part de Christopher Nolan et une œuvre somme qui réunira tous ses codes et intentions. Et malgré son allure intimiste et minimaliste, ce chef d’œuvre est une réalisation incontournable (si ce n’est la plus incontournable) pour saisir l’essence de l’art de son auteur. Son meilleur tour.