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Le Procès des rouages d'une France rouillée

ITINERAIRE D'UN REVOLUTIONNAIRE RATE

Avril 1976. Second procès devant la Cours d’Amiens du désormais célèbre Pierre Goldman. Étudiant hyperactif engagé auprès de l’Union des Étudiants Communistes, qui poursuivra toute sa vie le rêve romantique d’être un jour à la hauteur de ses parents (surtout de sa mère), grands révolutionnaires et Résistants juifs polonais.

Intellectuel aux airs de bourrin à la Martin Eden, incarnant la gauche, la vraie, celle qui s’opposait au Mai 68 de la bourgeoisie estudiantine libérale-libertaire, il profiterait de ces événements qu’il dit, bardé d’un sourire méprisant, avoir suivi « de très loin » pour tenter de poursuivre sa carrière de révolutionnaire international à Cuba, puis au Venezuela.

Manquant son rendez-vous par deux fois avec l’Histoire, notre révolutionnaire raté, reviendra en France où il sombrera dans le néant de paradis aussi éphémères qu’artificiels (drogues, femmes, boites) et développera un certain goût pour le luxe qui le poussera presque inévitablement vers la petite criminalité.

Ici commence l’histoire de notre héros complexe, qui, trop complexé par la faillite de sa quête romantique ne prétendra jamais (explicitement) être un héros. Sa troublante et cruelle lucidité quant à son propre échec paraîtra tout d’abord lorsque qu’il nous sera donné à savoir que notre coupable idéal avait très rapidement avoué les autres braquages pour lesquels il était suspecté.

Cet « amour de la vérité » qui semble le mouvoir le poussera même à volontiers disséquer devant la cour son mode de vie trempant dans le banditisme écervelé et apolitique symbole de sa relégation de l’avant-garde révolutionnaire aux bas-fonds lumpenprolétariens, , aux antipodes de son idéal révolutionnaire, pour mieux expliquer au jury la source (tout sauf héroïque) de ses méfaits.

Pourtant, les meurtres du Boulevard Richard-Lenoir, ça non, il est innocent.

INNOCENT ONTOLOGIQUE, ONTOLOGIQUE COUPABLE

Sa défense sonne presque comme un affront à la loi des Hommes : « Je suis innocent, car je suis innocent » déclare-t-il. Une innocence « ontologique » qui ne répondrait à aucun autre principe qu’à celui du Vrai.

Une réflexion philosophique très intéressante s’enclenche alors, car si Goldman s’accroche à cet idéal de la vérité factuelle comme seule garante d’elle-même, il s’évertuera cependant à la distinguer de la vérité juridique qu’on tente de lui asséner, et qui elle, répond à des logiques plus bassement humaines.

« Je suis un Nègre »

Car, si Goldman est, selon lui, ontologiquememt innocent par la loi quasi-divine d’un garant omniscient de la Vérité, il déclarera aussi qu’il est « ontologiquement » coupable du fait de sa judéité et de sa radicalité politique.

Le film Cédric Kahn nous replonge habilement dans une France en pleine Guerre Froide, sortant de multiples guerres contre les mouvements de libérations décoloniaux et encore largement marquée par les relents rances d’un Vychisme et d’un racisme qui lui colle douloureusement à la peau.

En cette période, le racisme sous ses formes les plus abruptes est encore plus banalisé qu’il ne l’est aujourd’hui. Et si les analyses du racisme systémique de l’Etat et de la police sont désormais bien intégrée par une partie de la gauche contemporaine, elles étaient en ce temps relativement avant-gardistes.

A plusieurs reprises, Goldman prendra ces théories à son compte en clamant de manière provocante (et sous les applaudissements de ses supporters noirs dans la salle) que « La police est raciste, absolument toute la police », au plus grand damne de son avocat.

Goldman se dit donc coupable ontologique de cette « machination » raciste (et politique) qui le vise. Il appuiera cela en défendant une convergence des luttes impensable dans notre champ politique actuel qui lie sa condition de juif au teint basané (Ressemblant à un Arabe, diront plusieurs fois les témoins) à celui de sa communauté de cœur, les Antillais, par une formule fracassante : « Je suis un nègre ». Par cette phrase, l’accusé lie sa judéité au racisme anti-noir, en expliquant que l’amour qu’il a développé pour la communauté antillaise (parmi laquelle il y rencontera son amante et l’un de ses plus proches amis) venait certainement de leurs destins liés de peuples châtiés par l’Histoire.

D’ailleurs, ce racisme, il n’en sera pas la seule victime, puisqu’une témoin importante, son amante de l’époque Christiane Succab (Chloé Lecerf), admettra avoir confessé de fausses informations à la police sous la pression extrême qu’elle avait subi du fait de sa couleur de peau. Il en sera presque de même pour un témoin pourtant clé de l’affaire, son ami Joël Lautric.

Symétriquement, plusieurs déclarations de témoins de la scène, blancs, eux, utiliseront un langage qui laissera transparaitre de potentiels biais racistes pouvant altérer leur processus d’identification du témoin.

Ainsi, à travers la caméra de Cédric Kahn, le racisme qui gangrène la France (post-)coloniale des années 70 semble infecter aussi bien le corps policier que le corps judiciaire ou encore la société civile qu’incarnent certains témoins.

La question que Goldman pose est donc : Quel crédit peut-on accorder à un procès basé sur des fondements si rongés par les gangrènes de son histoire ? Ou plutôt, quelle légitimité donner à la justice dans un pays structuré par l’injustice (raciale) ?

LA PSYCHOLOGIE DU TEMOIN

A ces questions d’ordre socio-politique, s’ajoute des interrogations psychologiques, notamment concernant le rôle sacralisé du témoignage.

Cédric Kahn recourera plusieurs fois à la philosophie pour questionner ce processus, où la mémoire trahit jusqu’aux les âmes les plus pures.

Mobilisant tantôt le scepticisme de Berkley (L’avocat Kiejman) pour remettre en cause le témoignage d’une femme assurant d’être détentrice d’une vérité incriminant Goldman, mais dont la version contredit tous les autres témoignages pourtant tout aussi incriminants.

Tantôt Descartes, un contradicteur de Berkley (encore Kiejman), et sa métaphore du morceau de cire en analogie aux témoignages qui changeraient au fil du temps en adoptant d’autres formes pour invalider un témoin qui aurait changé de version à chacun des six procès-verbaux.

Toutes ces gymnastiques philosophiques pour dire une chose simple : la sacralisation du témoignage est dangereuse, car elle érige la mémoire du témoin bien trop haut, au vu de sa modeste capacité à de prémunir des multiples biais qui la modèlent.

COUPEZ !

In fine, si ce procès eût un tel retentissement, et ce film un relativement bel accueil par la critique, c’est parce que contrairement à beaucoup de procès (et de films de procès), il n’est pas SEULEMENT celui d’un individu, aussi charismatique soit-il, mais un procès hautement politisé, un tribunal devant lequel la société française entière (et au-delà) est jugée, jaugée, mise à l’épreuve devant les maux et les contradictions dont elle est pétrie.

Par bien des aspects, l’actualité de certaines de ces réflexions est criante. Alors, après avoir manqué son rendez-vous avec les grandes révolutions de son vivant, Pierre Goldman pourrait-il avec ce film intégrer la petite famille de nos révolutionnaires contemporains, à titre posthume ?

SamiJ
7
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Créée

le 26 nov. 2023

Critique lue 32 fois

Sami Joutet

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