Ce qui terrifie dans ce film parlant, c'est qu'on y voit la mort de l'art burlesque de Buster Keaton. Mais il faut être clair, ce n'est pas le parlant qui a tué Buster Keaton, comme il a tué bon nombre de grands acteurs du muet dont la voix ne convenait pas. Ce qui a tué Buster Keaton, c'est son passage à la MGM. Grand studio, dissolution de son équipe, perte de contrôle. Il y a désormais une armée de scénaristes pour concevoir une histoire, chose qu'il n'a jamais faite auparavant. Il n'est plus la tête pensante, car chacun, à son échelle, veut mettre son grain de sel et il doit rendre des comptes aux exécutifs. Ce n'est plus le burlesque keatonien qui apparaît donc à l'écran. Keaton est un simple rouage d'une grande mécanique qui n'a rien à voir avec son style. Le film devient alors un drame. C'est un drame de voir un tel artiste être dépossédé de tous ses moyens. C'est un drame de le voir lutter pour faire apparaître par ci, par là, ses traits de génie, son burlesque si physique. Il y a par exemple cette scène où il refuse de laisser sa malle sur le quai d'une gare. Le train le traine lui, et lui traine sa malle. C'est son corps qui joue, son corps qui souffre, son corps qui est son meilleur allié.

Mais un autre style comique est déjà là, c'est celui de Jimmy Durante, celui qui fera fureur dans les années 30 et 40. Il s'agit d'un comique basé sur le dialogue et sur une réplique qui fuse. Le but est de se renvoyer la balle toujours plus vite. Cary Grant sera un expert de ce genre de comédies, que ce soit avec Irène Dunne dans Cette sacré vérité ou dans L'impossible Mr Bébé avec Katharine Hepburn. Keaton n'est pas de cette trempe là. Son corps ne lui sert plus à rien. Sa voix n'est pas un problème, elle passe très bien à l'écran, mais il ne veut pas qu'elle soit son seul outil de travail. C'est trop tard, il a déjà perdu la bataille. La mode est passée. Seul le puissant Charlie Chaplin résistera jusque dans les années 40 avant de prendre un virage serré avec Monsieur Verdoux. Film que beaucoup rejetteront.
busterlewis
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le 14 juil. 2012

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